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De la rose de marbre à la rose de fer
Les Ténèbres (XXIV) Extraits de Corps et biens (1930)
La rose de marbre immense et blanche était seule sur la place déserte
où les ombres se prolongeaient à l'infini. Et la rose de marbre seule
sous le soleil et les étoiles était la reine de la Solitude. Et sans
parfum la rose de marbre sur sa tige rigide au sommet du piédestal de
granit ruisselait de tous les flots du ciel. La lune s'arrêtait
pensive en son coeur glacial et les déesses des jardins les déesses
de marbre à ses pétales venaient éprouver leurs seins froids.
La rose de verre résonnait à tous les bruits du littoral. Il n'était
pas un sanglot de vague brisée qui ne la fît vibrer. Autour de sa
tige fragile et de son coeur transparent des arcs en ciel tournaient
avec les astres. La pluie glissait en boules délicates sur ses
feuilles que parfois le vent faisait gémir à l'effroi des ruisseaux
et des vers luisants.
Le rose de charbon était un phénix nègre que la poudre transformait en
rose de feu. Mais sans cesse issue des corridors ténébreux de la mine
où les mineurs la recueillaient avec respect pour la transporter au
jour dans sa gangue d'anthracite la rose de charbon veillait aux
portes du désert.
La rose de papier buvard saignait parfois au crépuscule quand le soir à
son pied venait s'agenouiller. La rose de buvard gardienne de tous
les secrets et mauvaise conseillère saignait un sang plus épais que
l'écume de mer et qui n'était pas le sien.
La rose de nuages apparaissait sur les villes maudites à l'heure des
éruptions de volcans à l'heure des incendies à l'heure des émeutes et
au-dessus de Paris quand la commune y mêla les veines irisées du
pétrole et l'odeur de la poudre. Elle fut belle au 21 janvier belle au
mois d'octobre dans le vent froid des steppes belle en 1905 à l'heure
des miracles à l'heure de l'amour.
La rose de bois présidait aux gibets. Elle fleurissait au plus haut de
la guillotine puis dormait dans la mousse à l'ombre immense des
champignons.
La rose de fer avait été battue durant des siècles par des forgerons
d'éclairs. Chacune de ses feuilles était grande comme un ciel
inconnu. Au moindre choc elle rendait le bruit du tonnerre. Mais
qu'elle était douce aux amoureuses désespérées la rose de fer.
La rose de marbre la rose de verre la rose de charbon la rose de papier
buvard la rose de nuages la rose de bois la rose de fer refleuriront
toujours mais aujourd'hui elles sont effeuillées sur ton tapis.
Qui es-tu? toi qui écrases sous tes pieds nus les débris fugitifs de La
rose de marbre de la rose de verre de la rose de charbon de la rose
de papier buvard de la rose de nuages de la rose de bois de la rose
de fer.
Robert Desnos ("Les Ténèbres", XXIV)
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From the marble rose to the rose of iron
Les Ténèbres (XXIV) Extraits de Corps et biens (1930)
The enormous white Marble Rose stood alone in solitary splendor high above the deserted square where
shadows stretched out to the infinite. And as she stood there alone beneath the sun and the stars,
the marble rose reigned as Queen of Solitude. And although odorless the Marble Rose atop her stiff
stem and atop her great granite pedestal was bedewed by all the downpours of the Heavens. The moon
paused with pensiveness at her glacial heart and the goddesses of the gardens the goddesses
of marble came to try their icy bosoms against her petals.
The Glass Rose resonated with all the sounds of the seacoast. Not one sobbing, breaking wave failed to make
her tremble, too. Around her fragile stem and transparent heart rainbows revolved with the stars. The
rains ran down in delicate pellets to the tips of her leaves which sometimes the moaning winds set
atremble much to the horror of street-sewers and flickering glow-worms.
The Rose of Coal was a black female phoenix transformed by rouge into a rose of fire. But endlessly
excavated from the shadowy corridors of mines where miners pluck her with all due respect to carry
her encased in veins of anthracite intact into the light of day, the Coal Rose kept watch at the
gateways of the desert.
The Rose of Pink Blotting-paper bled sometimes towards twilight as evening came forth to genuflect at
her feet. The Rose of Pink Blotting-Paper guardian of all secrets yet unreliable confidant bled a blood
thicker than sea-foam yet which was not her own.
The Rose of the Clouds appeared above doomed cities during times of volcanic eruptions during times of
flash-fires during times of rioting and over Paris too when the Commune filled her radiant veins
with glistening gasoline and also the odor of gunpowder. And the rose of the clouds was beautiful on the
21st of January beautiful in the month of October amidst the cold wind of the steppes yes beautiful in
1905 during that time of true miracles during that high hour of love.
The Wooden Rose presided over scaffolds. She blossomed atop the Guillotine, then later slept at its feet,
in mosses sprouting beneath the immense shadows of mushrooms.
The Iron Rose had been hammered at for century after century, beaten by the blacksmiths of lightning. Each
of her leaves was a vast as some unknown horizon. When subjected to shocks she echoed with the sound
of thunder. But how gentle to women despairing of their love was this Rose of Iron.
The Rose of Marble the Rose of Glass the Coal Rose the Rose of Pink Blotting-Paper the Rose of the Clouds
the Wooden Rose the Rose of Iron will go on flowering and re-flowering forever but today they lie
leafless and trampled flat upon your carpet.
Just who are you anyway? You who trample beneath your bare, naked feet the scattered debris of the Rose of
Marble the Rose of Glass the Coal Rose the Rose of Pink Blotting-paper the Rose of the Clouds and the
Wooden Rose and the Rose of Iron.
Translated by Michael Benedikt
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