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Le mur
Quand viennent ces moments brefs et froids,
tes yeux sauvages, silencieux, lèvent un mur autour de moi
Je fuis sur les chemins perdus
jusqu’à ce que des champs paraissent sous la poussière de la lune
jusqu'à ce que nous ne fassions qu'un dans les sources de lumière
jusqu'à la brume chamarrée des chaudes matinées d'été
Je fuis jusqu'à ce que ma robe déborde de lys du désert
jusqu'à ce que nous entendions tous deux
le coq qui appelle depuis le toit du villageois
jusqu'à ce que de tout son poids mon pieds foule l'herbe du désert
ou que je m'y désaltère de rosée froide
jusqu'à ce que sur une grève vide
du haut de ses rochers perdus dans l'ombre nébuleuse,
j'échappe aux choréographies des tempêtes sur la mer
jusqu'à ce qu'en un soir lointain,
- comme les pigeons sauvages,
j'entreprenne le parcours des champs, du ciel, des montagnes
jusqu'à ce que les oiseaux du désert
crient de joie d’entre les broussailles sèches
je t'échappe pour que - loin de toi
je trouve le chant de l’espoir, ainsi que tout ce qu’il contient
mais avec leur cris éteint tes yeux me brouillent le chemin
vers la pesante grille d'or qui conduit au palais des songes,
levant un mur autour de moi, comme la destinée d'un jour,
au plus fort de son mystère
j'échappe à l'envoûtement des victimes hésitantes,
je me défais comme le parfum de la fleur coloriée des songes,
m’agrippe à l'onde des cheveux de la nuit dans le zéphyr,
m'en vais accoster le soleil
dans un monde qu'un confort perpétuel a endormi
je trébuche avec douceur sur un nuage doré,
la lumière lance ses griffes au travers du ciel égayé,
en une harmonieuse esquisse
C'est de cet endroit-là qu'heureuse et libre,
je fixe mes yeux sur un monde où le sortilège
de ton regard construit un lien avec un regard confus
Un monde où tes yeux envoûtants,
au plus fort de leur mystère,
lèvent un mur sur leur secret
Forough Farrokhzâd -
traduit du persan par Sylvie M. Miller
http://lalapostings.blogspot.com/
Renaissance
Tout mon être est un hélas sombre
qui te porte en soi et te répète, lancinant
vers l'aube où poussent les bourgeons
éclos de l'éternité
En cet hélas,moi, je t'ai soupiré,
Ah! Soupiré, soupiré tant,
que je t'ai greffé à l'arbre à l'eau au feu
La vie peut être est une rue longue
où passe chaque jour une femme avec un panier;
la vie peut être est une corde
sur la branche où l'homme se pend;
la vie peut être est un enfant
qui rentre de l'école à pieds;
la vie peut être est cet instant où deux amants consumés
brûlent une cigarette;
ou le passe-droit étourdi d'un passant qui salue l'autre
d'un sourire vide et du chapeau;
ou bien encore ce moment hermétique où mon regard
s'éffondre en écoutant tes yeux;
et dans cet étourdissement que donne une impression de lune
et de soleil en même temps
Dans une chambre ramenée aux dimensions d'une solitude,
mon coeur, à l'échelle de l'amour,
contemple les prétextes simples qui lui donnent son bonheur
comme la beauté déclinante de fleurs coupées dans un vase
comme la graine que tu plantas dans le parterre du jardin
comme le chant des canaris aux mesures d'une fenêtre
Ah! Voici ma destinée,
Voici ce qu'est ma destinée...
Ma destinée est un ciel
qu'un nouveau rideau posé, m'enlèvera
Ma destinée est la descente d'escaliers abandonnés
pour y dénicher une chose imputréscible et révolue
Ma destinée est ce parcours endeuillé dans les allées
du jardin de ma mémoire et la nostalgie d'un râle qui me dit
"j'aime tes mains"
J'enfouis mes mains dans le jardin pour y grandir
et je suis sure,sure que je grandirai
et qu'entre mes doigts tachés d'encre
les hirondelles feront leurs nids
Je prends comme pendants d'oreilles
des cerises rouges assorties
je colle aux ongles de mes doigts
des pétales de dahlias
Il existe une ruelle, où mes amoureux, encore, rêvent,
toujours échevelés, avec leur cou effilé,
leurs jambes dégingandées,
du rire candide d'une enfant
qu'un soir le vent a emportée
Il existe, une ruelle, dans les quartiers de mon enfance,
que mon coeur leur a volée
Le voyage donne sa forme à la ligne sèche du temps
Qui, stérile, n'est engrossée que dans le reflet d'un miroir
Et c'est pourquoi, un être meurt
Et un autre reste vivant
Aucun pêcheur ne trouvera de perle
dans un ruisseau qui se jette dans un fossé
Je connais une petite fée triste,
dans un océan qui sans faire de bruit
raconte son coeur, en jouant du luth
Une petite fée triste qui
La nuit périt dans un baiser
Et renaît d'un baiser, dans l'aube
Poème de Forough Farrokhzad
traduit du persan par Sylvie M. Miller
http://lalapostings.blogspot.com/
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