Gérald Godin
(1938 - 1994)

poète Québécois


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Choix de Poèmes

Ses mots
Cantouque menteur
Cantouque du retour
Cantouque sans recours
Libertés surveillées
T'en souviens-tu, Godin?
Pays
Portraits de mes amis




"Dans son oeil passe
un poisson d'or
faisant l'amour
entre deux portes
arrachant au temps la splendeur d'un instant
dans un cri déchirant"

Godin, Gérald, Sarzènes, Écrits des Forges, 1983




Biographie

Gérald Godin, poète Québécois naît à Trois-Rivières et fait ses études au Séminaire Saint-Joseph. Il s'intéresse très tôt au domaine de l'information, devient journaliste aux Nouvelles (1959-1962) et au Nouveau Journal (1962-1963). Il sera journaliste comme on cherche la vérité. Modestement et sans prendre la pose. Gérald Godin travaille aussi à Radio-Canada (1963-1969) comme recherchiste, puis comme chef de nouvelles. Il est directeur général de Québec-Presse de 1969 à 1972. Mais le journaliste ne débouche pas sur l'action, se plaint-il un jour. La politique est pour lui un chemin naturel vers les autres. Il devient député du Parti québécois à l'Assemblée nationale et ministre des Communautés culturelles et de l'Immigration (1976-1985). Il sert son peuple avec la plus grande générosité. Dans un texte écrit pour Le Devoir en avril 1980, Gérald Godin fait le lien entre la poésie et la politique:

"La question n'est pas de savoir ce que les poètes font en politique, mais bien plutôt ce que la politique fait aux poètes. Quant à moi, au coeur d'une mêlée dont je n'imaginais pas la millième partie, je n'ai plus le choix. Je suis dans la politique comme d'autres sont dans la finance. Je ne me possède plus."

Il fonde en 1963 Parti Pris, qu'il dirige de 1969 à 1977. Il y publie ses poèmes. On dit de lui qu'il utilise le joual comme langue de communication poétique. Il décrit son appartenance au langage en ces termes:

" Les mots sont citoyens de la poésie. Innombrables,imprévisibles, vivants, dynamiques, changeants, intraitables et qui, au fond, dominent absolument ceux qui croient s'en servir. "

Gérald Godin se qualifie d'optimiste " forcené". Il écrit dans son recueil de poèmes Les botterlots publié à l'Hexagone:

"La langue de ma mère a des mots pour tout."

Il chérit particulièrement le mot "liberté". Poète, il lie sa parole à celle de son peuple. Lui-même dit:

"En poésie, il faut oser être simple, modeste, familier.Je ne suis pas un poète de laboratoire. Je suis dans la ruelle derrière. Je fais une poésie de piétons."

Homme d'action, il mène sa vie jusqu'au bout, avec le courage que l'on sait. Pour lui, la vie est langage.

Sa rétrospective de poèmes, intitulée Ils ne demandaient qu'à brûler, a obtenu, en 1987, le Grand Prix du livre de Montréal, le Prix Ludger-Duvernay et le Prix Québec-Paris. Il a également reçu le Grand Prix du Journal de Montréal, section poésie, pour Les Botterlots en 1994 et, à titre posthume, le Prix littéraire Gérald Godin en 1995.

Son écriture est liée au Joual et aux combats linguistiques du Québec. Dans son roman L'Ange exterminé, il réalise ainsi une satire sociale de certains milieux politiques et culturels de son pays, avec l'humour grinçant qui lui est propre. Rythmes, souffle poétique, jeux de mots et même rimes viennent unifier cet ensemble éclaté. De même, sa poésie a toujours approfondi la langue française et québécoise, liant oralité et structures savantes pour chanter un appétit de vivre qui ne lui fit jamais défaut

Enfin, Gérald Godin aura laissé son nom au Cégep Gérald-Godin, un nouveau collège qui offrira des programmes d'études préuniversitaires et techniques. Ce collège est situé à Pierrefonds, dans l'Ouest-de-l'île de Montréal. De plus, la place qui entoure la station de métro Mont-Royal portera le nom du poète-disparu parce qu'elle est une des plus fréquentées de son ancienne circonscription de Mercier.

(Les citations sont de Jean Royer, (directeur littéraire, l'Hexagone) Lettres québécoises, #76, hiver 1994, p. 7.
Références: http://felix.cyberscol.qc.ca/LQ/auteurG/godin_ge/oeuvr_go.HTML
http://www.litterature.org/recherche/ecrivains/godin-gerald-235/



Ses mots

Quand je veux délasser mon
esprit, ce n'est pas l'honneur
que je cherche, c'est la liberté.

La langue de ma mère
a des mots pour tout

dans la grande famille des mots
je m'en choisis pour passer l'hiver
des mots en laine du pays
cette année j'ai choisi le mot guérison
le mot liberté
des mots qui tiennent bien au chaud

Gérald Godin Les botterlots, Montréal, L'Hexagone, 1993, 80 p.



Cantouque menteur

les Louis Riel du dimanche
les décapités de salon
les pendus de fin de semaine
les martyrs du café du coin
les révolutavernes
et les molsonnutionnaires
mes frères mes pareils
hâbleurs de fond de cour un jour
on en aura soupé
de faire dans nos culottes
debout sur les barricades
on tirera des tomates aux Anglais
des oeufs pourris des Lénine
avant d'avoir sur la gueule
la décharge de plombs du sergent Dubois
du royal Vanndouze
à l'angle des rues Peel et Saint'Cat
c'est une chanson de tristesse et d'aveu
fausse et menteuse comme une femme
et pleureuse itou avec un fond de vérité
je m'en confesse à dieu tout puissant
mon pays mon Québec
la chanson n'est pas vraie
mais la colère si
au nom du pays de la terre
et des seins de Pélagie

Gérald Godin

*De l'anglais, cant-hook; gros levier en bois, à pointe ferrée, garni d'un crochet mobile qui permet de rouler les billes.

Les Cantouques, Poèmes en langue verte, populaire et quelquefois française, " Paroles ", Parti pris, 1967, 56 p.)



CantouqueR" - Cantouque menteur

arriver chez toi descendre dans ton coeur
un soir d'automne ou d'ailleurs
quand tu m'as pris par la nuque
à la naissance des cheveux
j'ai dit mobiloil
à la place du coeur
les matelas sortent de la cheminée
tu sèmes de blancs oiseaux d'arbre en arbre
comme les tiroirs de la rivière autant de trésors
que de bruissements dans les feuilles
qui se fraie un chemin entre les tables entre les chaises de la rivière?
"don't spoil the napkin you Dylan-drunkard"
qui a dit cela? le paysage n'est rien sans moi
je le prends par le cou ce soir de septembre
et de chez nous
tiens le ciel s'est acheté des tentures bleues
probablement vendredi soir chez webb and knapp
il y a trente ans que j'en cherche la corde
pour voir juste pour voir si j'oserai la prendre
si je pourrai tirer les rideaux
gulf-stream il pleuvra des gulf-streams
verts comme des grenouilles en troupeaux
c'est pour cela seul et peut-être aussi pour toi
ma murmurante que je sippe encore mon petit thé
le soir après souper que je feins de croire en ma tasse
de thé comme en dieu
je serai jeune un soir de septembre
je te prendrai sous mon bras comme un livre
et j'irai te lire dans mon lit
le tête appuyée au mur
pour ne pas m'endormir
et quatre ou cinq cylindres de Vivaldi
se coulant sous la porte comme poussièrev je rêverai d'un point d'orgue
je me laisserai couler dans les mots d'un poème
je croulerai sur mon tapis bariolé
graffiti de plus dans ses symboles arabes décadents
je jouerai mon âme aux échecs à ma reine
et je ferai peut-être un poème un soir
si plein si vrai que tu diras
- il est saoul le maudit

Gérald Godin

Nouveaux poèmes, éditions du Bien Public, 1963, 55 p.



CantouqueS" - Cantouque sans recours

Comment pourrais-je coucher avec toi
m'allonger du long de ton flanc doux
t'embrasser les seins te mordiller les tétins
si je n'étais indépendantiste ô mon amour
comment pourrais-je porter mes chnolles
et m'en servir au besoin quand le désir me vient
être un homme et me tenir debout et droit
si je n'étais indépendantiste ô mon amour
comment pourrais-je parler français
comme mes voisins mes pareils
fouler la boue du pays l'appeler mienne
la traîner à mes semelles m'en targuer m'en vanter
m'en mettre plein la vue m'en ennuyer
me sentir chez moi sinon aujourd'hui du moins demain
si je n'étais indépendantiste ô mon amour
comment pourrais-je vivre oser respirer encore
l'air pollué de mon pays vaincu
l'avenir bouché de mon pays anglichié
supporter la brûlure des Plaines l'incendie des drapeaux
le bris des épées l'exil de trente-sept
comment pourrais-je oser t'aimer te toucher
même lever les yeux vers toi
connaître ne serait-ce que ton nom
si je n'avais à coeur qu'un jour sinon nous du moins nos fils
soient ici chez eux sur la terre que d'aïeul à petit-fils
nous aimons

Gérald Godin



Libertés" - Libertés surveillées

Quand les bulldozers d'Octobre entraient dans les maisons
à cinq heures du matin
Quand les défenseurs des Droits de l'Homme
étaient assis sur les genoux de la police
à cinq heures du matin
Quand les colombes portaient fusil en bandoulière
à cinq heures du matin
Quand on demande à la liberté de montrer ses papiers
à cinq heures du matin
il y avaient ceux qui pleuraient en silence
dans un coin de leur cellule
il y avait ceux qui se ruaient sur les barreaux
et que les gardiens traitaient de drogués
il y avait ceux qui hurlaient de peur la nuit
il y avait ceux qui jeûnaient depuis le début
Quand on fait trébucher la Justice
dans les maisons pas chauffées
à cinq heures du matin
Quand la raison d'état se met en marche
à cinq heures du matin
il y en a qui sont devenus cicatrices
à cinq heures du matin
il y en a qui sont devenus frisson
à cinq heures du matin
il y a ceux qui ont oublié
il y a ceux qui serrent encore les dents
il y a ceux qui s'en sacrent
il y a ceux qui veulent tuer

Gérald Godin

Libertés surveillées, Éditions Parti pris, 1975, 52 p.



T'en souviens-tu, Godin?

T'en souviens-tu, Godin
astheure que t'es député
t'en souviens-tu
de l'homme qui frissonne
qui attend l'autobus du petit matin
après son chiffre de nuit
t'en souviens-tu des mal pris
qui sont sul'bien-être
de celui qui couche dans la neige
des trop vieux pour travailler
qui sont trop jeunes pour la pension
des mille métiers mille misères
l'amiantosé le cotonisé
le byssinosé le silicosé
celui qui tousse sa journée
celui qui crache sa vie
celui qui s'arrache les poumonsv celui qui râle dans sa cuisine
celui qui se plogue sur sa bonbonne d'oxygène
il n'attend rien d'autre
que l'bon dieu vienne le chercher
t'en souviens-tu
des pousseurs de moppes
des ramasseurs d'urine
dans les hôpitaux
ceux qui ont deux jobbes
une pour la nuitte
une pour le jour
pour arriver à se bûcher
une paie comme du monde
t'en souviens-tu, Godin
qu'il faut rêver aujourd'hui
pour savoir ce qu'on fera demain?

Gérald Godin

Les botterlots, Montréal, L'Hexagone, 1993, 80 p.



Pays

J'ai vu le soleil se lever
dans tant et tant de pays
je ne savais plus lequel
était le mien
le jour oscillait
lampe incertaine dans ma nuit
le rif le souk le môle
la vallée millénaire
bergers de l'Atlas
boutre coutre Seychelles
je l'ai vu se coucher
le jour passait comme une flèche
et chaque soir me frappait en plein coeur
comme le dernier

Gérald Godin

Libertés surveillées, Éditions Parti pris, 1975, 52 p.



Portraits de mes amis

C'était une génération
de produits hautement inflammables
hommes d'amadou hommes d'attisée
hommes en fagots
qui ne demandent qu'à brûler
abandonnés parfois pour une fin de semaine
on entend crépiter leur coeur
sur les tables de chez Harry
ils se consumaient d'amour
en d'interminables incendies
ils n'avaient plus de larmes
ils n'avaient plus de hargne
ils n'avaient plus que les sursauts
de leurs années en lambeaux
pour tout coeur souvent
ils n'avaient que braises
et pour tout souvenir
que cendres
mais ils sont prêts à tout recommencer
dès la prochaine poudrée

Gérald Godin

Sarzènes, Écrits des Forges, 1983, 55 p.



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