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Une fin comme une autre
(ou une mort en poésie)
Si tu savais comme je lutte de tout mon souffle
contre la malédiction de bâtiments qui craquent
telles ces forces de naufrage qui me hantent
tel ce goût de l'être à se défaire que je crache
et quoi dire que j'endure dans toute ma charpente
ces années vides de la chaleur d'un autre corps
je ne pourrai pas toujours, l'air que je respire
est trop rare sans toi, un jour je ne pourrai plus
ce jour sera la mort d'un homme de courage inutile
venue avec un froid dur de cristaux dans ses
membres
mon amour, est-ce moi plus loin que toute la neige
enlisé dans la faim, givré, yeux ouverts et brûlés
***
Déclaration
à la dérive
Je suis seul comme le vert des collines au loin
je suis crotté et dégoûtant devant les portes
les yeux crevés comme des oeufs pas beaux à voir
et le corps écumant et fétide de souffrance
je n'ai pas eu de chance dans la baraque de ma vie
je n'ai connu que de faux aveux de biais le pire
je veux abdiquer jusqu'à la corde usée de l'âme
je veux perdre la mémoire à fond d'écrou
l'automne est venu je me souviens presque encore
on a préparé les niches pour les chiens pas vrai
mais à moi, ;a mon amour, à mon mal gênant
on ouvrit toutes grandes les portes pour dehors
or dans ce monde d'où je ne sortirai bondieu
que pour payer mon dû, et où je suis gigué déjà
fait comme un rat par toutes les raisons de vivre
hommes, chers hommes, je vous remets volontiers
1 — ma condition d'homme
2 — je m'étends par terre
dans ce monde où il semble meilleur
être chien qu'être homme
Gaston Miron
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Les années de déréliction
La vie agonique
La noirceur d'ici qui gêne le soleil lui-même
me pénètre, invisible comme l'idiotie teigneuse
chaque jour dans ma vie reproduit le précédent
et je succombe sans jamais mourir tout à fait
celui qui n'a rien comme moi, comme plusieurs
marche depuis sa naissance, marche à l'errance
avec tout ce qui déraille et tout ce qui déboussole
dans son vague cerveau que l'agression embrume
comment me retrouver labyrinthe ô mes yeux
je marche dans mon manque de mots et de pensée
hors du cercle de ma conscience, hors de portée
père, mère, je n'ai plus mes yeux de fil en aiguille
puisque je suis perdu, comme beaucoup des miens
que je ne peux parler autrement qu'entre nous
ma langue pareille à nos désarrois et nos détresses
et bientôt pareille à la fosse commune de tous
puisque j'ai perdu, comme la plupart autour
perdu la mémoire à force de misère et d'usure
perdu la dignité à force de devoir me rabaisser
et le respect de moi-même à force de dérision
puisque je suis devenu comme un grand nombre
une engeance qui tant s'éreinte et tant s'esquinte
à retrouver son nom, sa place et son lendemain
et jusqu'à s'autodétruire en sa légitimité même
terre, terre, tu bois avec nous, terre comme nous
qui échappes à toute prégnance nôtre et aimante
tu bois les millénaires de la neige par désespoir
avec comme nous une fixité hagarde et discontinue
cependant que la beauté aurifère du froid
t'auréole et comme nous dans la mort te sertit
je vais, parmi des avalanches de fantômes
je suis mon hors-de-moi et mon envers
nous sommes cernés par des hululements proches
des déraisons, des maléfices et des homicides
je vais, quelques-uns sont toujours réels
lucides comme la grande aile brûlante de l'horizon
faisant sonner leur amour tocsin dans le malheur
une souffrance concrète, une interrogation totale
poème, mon regard, j'ai tenté que tu existes
luttant contre mon irréalité dans ce monde
nous voici ballottés dans un destin en dérive
nous agrippant à nos signes méconnaissables
notre visage disparu, s'effaceront tes images
mais il me semble entrevoir qui font surface
une histoire et un temps qui seront nôtres
comme après le rêve quand le rêve est réalité
et j'élève une voix parmi des voix contraires
sommes-nous sans appel de notre condition
sommes-nous sans appel à l'universel recours
hommes, souvenez-vous de vous en d'autres temps
Gaston Miron
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