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Émile Nelligan
(1879-1941)

35ko





L'Oeuvre de Nelligan
*L'Âme du poète

Clair de lune intellectuel
Le Vaisseau d'or
Mon Âme

Analyse littéraire












*Mon âme

Mon âme a la candeur d'une chose étiolée,
D'une neige de février...
Ah! retournons au seuil de l'Enfance en allée,
Viens-t-en prier...

Ma chère, joins tes doigts et pleure et rêve et prie,
Comme tu faisais autrefois
Lorsqu'en ma chambre, aux soirs, vers la Vierge fleurie
Montait ta voix.

Ah! la fatalité d'être une âme candide
En ce monde menteur, flétri, blasé, pervers,
D'avoir une âme ainsi qu'une neige aux hivers
Que jamais ne souilla la volupté sordide!

D'avoir l'âme pareille à de la mousseline
Que manie une soeur novice de couvent,
Ou comme un luth empli des musiques du vent
Qui chante et qui frémit le soir sur la colline!

D'avoir une âme douce et mystiquement tendre,
Et cependant, toujours, de tous les maux souffrir,
Dans le regret de vivre et l'effroi de mourir,
Et d'espérer, de croire... et de toujours attendre!



*Le vaisseau d'or

Ce fut un grand Vaisseau taillé dans l'or massif:
Ses mâts touchaient l'azur, sur des mers inconnues;
La *Cyprine d'amour, cheveux épars, chairs nues,
S'étalaient à sa *proue, au soleil excessif.

Mais il vint une nuit frapper le grand écueil
Dans l'Océan trompeur où chantait la *Sirène,
*Et le naufrage horrible inclina sa carène
Aux profondeurs du Gouffre, immuable cercueil.

Ce fut un Vaisseau d'Or, dont les flancs diaphanes
Révélaient des trésors que les marins *profanes,
Dégoût, Haine et Névrose, entre eux ont disputés.

Que reste-t-il de lui dans la tempête brève?
Qu'est devenu mon coeur, navire déserté?
Hélas! Il a sombré dans l'*abîme du Rêve !



*Le jardin de l'enfance

Clavier d'antan
Dans l'allée
Devant deux portraits...
Devant le feu
Devant mon berceau
La Fuite de l'enfance
Le Berceau de la Muse
Le Jardin d'antan
Le Regret des joujoux
Le Talisman
Les Angéliques
Ma mère
Premier remords
Ruines



Devant mon berceau

En la grand'chambre ancienne aux rideaux de guipure
Où la moire est flétrie et le brocart fané,
Parmi le mobilier de deuil où je suis né
Et dont se scelle en moi l'ombre nacrée et pure;

Avec l'obsession d'un sanglot étouffant,
Combien ma souvenance eut d'amertume en elle,
Lorsque, remémorant la douceur maternelle,
Hier, j'étais penché sur ma couche d'enfant.

Quand je n'étais qu'au seuil de ce monde mauvais,
Berceau, que n'as-tu fait pour moi tes draps funèbres?
Ma vie est un blason dur des murs de ténèbres,
Et mes pas sont fautifs où maintenant je vais.

Ah! que n'a-t-on tiré mon linceul de tes langes,
Et mon petit cercueil de ton bois frêle et blanc,
Alors que se penchait sur ma vie, en tremblant,
Ma mère souriante avec l'essaim des anges!

                       



Devant deux portraits de ma mère

Ma mère, que je l'aime en ce portrait ancien,
Peint aux jours glorieux qu'elle était jeune fille,
Le front couleur de lys et le regard qui brille
Comme un éblouissant miroir vénitien!

Ma mère que voici n'est plus du tout la même;
Les rides ont creusé le beau marbre frontal;
Elle a perdu l'éclat du temps sentimental
Où son hymen chanta comme un rose poème.

Aujourd'hui je compare, et j'en suis triste aussi,
Ce front nimbé de joie et ce front de souci,
Soleil d'or, brouillard dense au couchant des années.

Mais, mystère de coeur qui ne peut s'éclairer!
Comment puis-je sourire à ces lèvres fanées?
Au portrait qui sourit, comment puis-je pleurer?

***
Ante dos retratos de mi madre
triangle

Mi madre, y cómo la amo en este retrato antiguo,
pintado en días gloriosos cuando ella aún era joven,
color de lis la frente y la vista que brilla
como resplandeciente espejo veneciano.

Pero mi madre ya no es en absoluto la misma:
le ahuecan las arrugas el mármol de la frente,
el brillo se opacó de aquel tiempo emotivo
cuando su himen cantaba como un poema rosa.

Ahora mismo comparo, y eso me hace estar triste,
esa frente nimbada y esta frente inquieta:
sol de oro y densa bruma en la edad del crepúsculo.

¡Oh misterio del alma que no puede aclararse!
¿Cómo he de sonreírle a esta boca marchita?
Y al retrato que ríe ¿cómo puedo llorarle?

Versiones de: Marco Antonio Campos



*Amours d'élite

Amour immaculé
Beauté cruelle
Caprice blanc
Chapelle de la morte
Château d'Espagne
La belle morte
Le Mai d'amour
Le Missel de la morte
Le Robin des bois
Placet
Rêve d'artiste
Thème sentimental



*Rêve d'artiste

Parfois j'ai le désir d'une soeur bonne et tendre,
D'une soeur angélique au sourire discret:
Soeur qui m'enseignera doucement le secret
De prier comme il faut, d'espérer et d'attendre.

J'ai ce désir très pur d'une soeur éternelle,
D'une soeur d'amitié dans le règne de l'Art,
Qui me saura veillant à ma lampe très tard
Et qui me couvrira des cieux de sa prunelle;

Qui me prendra les mains quelquefois dans les siennes
Et me chuchotera d'immaculés conseils,
Avec le charme ailé des voix musiciennes;

Et pour qui je ferai, si j'aborde à la gloire,
Fleurir tout un jardin de lys et de soleils
Dans l'azur d'un poème offert à sa mémoire.




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Analyse littéraire triangle


*Dans l' Âme du poète", comme le titre l'indique, Nelligan anaylse directement son âme, en dehors du temps et de l' espace, de la façon la plus immédiate, la plus dépouillée qui soit.
(Référence: Les Images en poésie canadienne-française par Gérard Bessette)

*Le vaisseau d'or. Comme Rimbaud avait traduit son aventure, réelle ou rêvée dans son Bateau ivre, ainsi Nelligan se décrit-il sous le symbole du Vaisseau d or. Mais, contrairement au premier, il ne plonge pas dans le surréalisme avant la lettre, il ne multiplie pas à plaisir les éléments ' anti-rationalistes' .(1) Son symbolisme reste sain et normal même quand il touche au plus cruel des drames intérieurs. Nelligan est de la famille des Baudelaire, des Nerval, des Rodenbach, plutôt que des Lautréamont et des Rimbaud. (Référence: Lectures littéraires,tome 1V)
1."L'influence de Rimbaud a déclenché toute une littérature antirationaliste; ses oeuvres ont bouleversé l'esprit contemporain".
(Citation: E.Jaloux, Visages français, p.43)

*"Cyprine". Cyprine ou Cypris: synonyme d'Aphrodite (Vénus).Référence: idem

*"proue". Les figures de proue des grands voiliers étaient très souvent féminines. Le poète avoue par cette image - mais combien discrètement! - l'impulsion qu'aurait pu lui imprimer un vrai et grand amour.(Référence: Lectures littéraires,tome 1V)'

*"Sirène". La Sirène qui attire par ses chants, c'est d'abord l'image de la poésie, qui absorbera Nelligan au point de détraquer sa raison. Peut-être y a-t-il dans ces vers, un drame moral sous-entendu, mais l'histoire n'en précise rien.(Référence: Lectures littéraires,tome 1V

*"Et le naufrage horrible". L'image, est très belle; elle suggère en outre une certaine progression dans la plongée vers le 'Gouffre', ce qui augmente et prolonge l'angoisse. (Référence: Lectures littéraires,tome 1V)

*"profanes".Profane (du lat. \'pro\', devant, et \'fanum\', temple): ce mot doit être pris dans son sens premier de non initié, d'étranger à un culte, d'incompétent dans une discipline donnée; ici les détracteurs de la poésie, auxquels se joignent les intrus de caractère pathologie énumérés au vers 11. (Référence: Lectures littéraires,tome 1V)

*"abîme". Ce mot est assurément un euphémisme; la réalité, c\'est la démence.(Référence: Lectures littéraires,tome 1V)

*"Le jardin de l'enfance". Dans le jardin de l'enfance, Nelligan se penche sur son passé. Il évoque des personnes, des lieux, des objets qui lui furent chers. Il oeuvre davantage dans le contingent, dans la réalité extérieure. C'est bien encore son moi pour ainsi dire, et qui devient conscient à l'occasion et à la suite d'un souvenir, d'une évocation; à l'aspect d'un meuble, d'un bijou, d'une chambre chargés de dynamisme sentimental. (Référence: Les Images en poésie...)

*"Amours d'élite". Dans 'Amours d'élite', Nelligan devient plus détaché. Ce sont des rêves, des fantaisies, des descriptions tout entières issues de son cerveau qu'il nous sert. La réalité, même passée, s'y trouve réduite à son minimum.(Référence: Les Images en poésie...)

*"Rêve d'artiste". Rêve sans lendemain, hélas, mais si pur, si généreux. Retranché dans la catégorie des 'mal aimés', Nelligan n'aura pas la ressource de crier sa révolte, comme ses émules français. Tout au plus traduira-t-il sa douleur en accents pénétrants. Le présent sonnet rappelle étrangement mais sans le moindre indice de plagiat, le sonnet de Verlaine intitulé 'Mon rêve familier'. Référence: 'Lectures Littéraires'

Oeuvre d'art: affiche
Titre: NELLIGAN (NELLIGAN / Québec / Robert Favreau / 1991)
Artiste: Rouleau, Marie Tous droits réservés: http://www.virtualmuseum.ca/Francais/Gallery/ (permission accordée)

Analyse et commentaires: Ouvrages consultés:
Bessette, GérardLes Images en poésie canadienne-française,1967
Frères de l'instruction chrétienne Lectures Littéraires, tome IV

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