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Pablo Neruda
(1904-1973)


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La Poesía

Y fue a esa edad ... Llegó la poesía
a buscarme. No sé, no sé de dónde
salió, de invierno o río.
No sé cómo ni cuándo,
no, no eran voces, no eran
palabras, ni silencio,
pero desde una calle me llamaba,
desde las ramas de la noche,
de pronto entre los otros,
entre fuegos violentos
o regresando solo,
allí estaba sin rostro
y me tocaba.

Yo no sabía qué decir, mi boca
no sabía
nombrar,
mis ojos eran ciegos,
y algo golpeaba en mi alma,
fiebre o alas perdidas,
y me fui haciendo solo,
descifrando
aquella quemadura,
y escribí la primera línea vaga,
vaga, sin cuerpo, pura
tontería,
pura sabiduría
del que no sabe nada
y vi de pronto
el cielo
desgranado
y abierto,
planetas,
plantaciones palpitantes,
la sombra perforada,
acribillada
por flechas, fuego y flores,
la noche arrolladora, el universo.


Y yo, mínimo ser,
ebrio del gran vacío
constelado,
a semejanza, a imagen
del misterio,
me sentí parte pura
del abismo,
rodé con las estrellas,
mi corazón se desató en el viento.

Pablo Neruda

La Poésie

Et ce fut à cet âge... La poésie
vint me chercher. Je ne sais pas, je ne sais d'où
elle surgit, de l'hiver ou du fleuve.
Je ne sais ni comment ni quand,
non, ce n'étaient pas des voix, ce n'étaient pas
des mots, ni le silence:
d'une rue elle me hélait,
des branches de la nuit,
soudain parmi les autres,
parmi des feux violents
ou dans le retour solitaire,
sans visage elle était là
et me touchait.

Je ne savais que dire, ma bouche
ne savait pas
nommer,
mes yeux étaient aveugles,
et quelque chose cognait dans mon âme,
fièvre ou ailes perdues,
je me formai seul peu à peu,
déchiffrant
cette brûlure,
et j'écrivis la première ligne confuse,
confuse, sans corps, pure
ânerie,
pur savoir
de celui-là qui ne sait rien,
et je vis tout à coup
le ciel
égrené
et ouvert,
des planètes,
des plantations vibrantes,
l'ombre perforée,
criblée
de flèches, de feu et de fleurs,
la nuit qui roule et qui écrase, l'univers.

Et moi, infime créature,
grisé par le grand vide
constellé,
à l'instar, à l'image
du mystère,
je me sentis pure partie
de l'abîme,
je roulai avec les étoiles,
mon coeur se dénoua dans le vent.

(Mémorial de l'île Noire, 1964)



Poetry

And it was at that age... Poetry arrived
in search of me. I don't know, I don't know where
it came from, from winter or a river.
I don't know how or when,
no, they were not voices, they were not
words, nor silence,
but from a street I was summoned,
from the branches of night,
abruptly from the others,
among violent fires
or returning alone,
there I was without a face
and it touched me.

I did not know what to say, my mouth
had no way
with names
my eyes were blind,
and something started in my soul,
fever or forgotten wings,
and I made my own way,
deciphering
that fire
and I wrote the first faint line,
faint, without substance, pure
nonsense,
pure wisdom
of someone who knows nothing,
and suddenly I saw
the heavens
unfastened
and open,
planets,
palpitating planations,
shadow perforated,
riddled
with arrows, fire and flowers,
the winding night, the universe.

And I, infinitesimal being,
drunk with the great starry
void,
likeness, image of
mystery,
I felt myself a pure part
of the abyss,
I wheeled with the stars,
my heart broke free on the open sky.




Pobres muchachos

Cómo cuestas en esie planeta
amarnos con tranquilidad:
todo el mundo mira las sábanas,
todos molestan a tu amor.

Y se cuentan cosas terribles
de un hombre y de una mujer
que después de muchos trajines
y muchas consideraciones
hacen algo insustiible,
se acuestan en una sola cama.

Yo me pregunto si las ranas
se vigilan y se estornudan,
si se susurran en las charcas
contra las ranas ilegales,
contra el placer de los batracios.
Yo me pregunto si los pájaros
tienen pájaros enemigos
y si el toro escucha a los bueyes
antes de verse con la vaca.

Ya los caminos tienen ojos,
los parques tienen policia,
son sigilosos los hoteles,
las ventanas anotan nombres,
se embarcan tropas y cañones
decididos contra el amor,
trabajan incesantemente
las gargantas y las orejas,
y un muchacho con su muchacha
se obligaron a florecer
volando en una bicicleta.

Pablo Neruda

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Pauvres gosses

Comme il te faut payer sur cette planète
pour nous aimer en toute tranquillité
tout le monde examine les draps,
tous se préoccupent de ton amour.

Et se racontent des choses terribles
au sujet d'un homme et d'une femme
qui après maintes tergiversations
et maintes considérations
font quelque chose d'unique,
ils se couchent dans un seul lit.

Je me demande si les grenouilles
se surveillent et s'éternuent au nez,
si elles se font des messes basses dans les mares
contre les grenouilles illégitimes,
contre le plaisir des batraciens
Je me demande si les oiseaux
ont des oiseaux ennemis
et si le taureau prête l'oreille aux boeufs
avant de rencontrer la vache.

Déjà les routes ont des yeux,
les parcs ont leur police,
leurs secrets les hôtels,
les fenêtres enregistrent les noms,
s'embarquent troupes et canons
déterminés contre l'amour,
travaillent inlassablement
les gorges et les oreilles,
et un garçon et sa petite amie
se mettent à fleurir
en volant sur une bicyclette.

Traduit par: Gilles de Seze




Walking Around

Sucede que me canso de ser hombre.
Sucede que entro en las sastrerías y en los cines
marchito, impenetrable, como un cisne de fieltro
Navegando en un agua de origen y ceniza.

El olor de las peluquerías me hace llorar a gritos.
Sólo quiero un descanso de piedras o de lana,
sólo quiero no ver establecimientos ni jardines,
ni mercaderías, ni anteojos, ni ascensores.

Sucede que me canso de mis pies y mis uñas
y mi pelo y mi sombra.
Sucede que me canso de ser hombre.

Sin Embargo sería delicioso
asustar a un notario con un lirio cortado
o dar muerte a una monja con un golpe de oreja.
Sería bello
ir por las calles con un cuchillo verde
y dando gritos hasta morir de frío

No quiero seguir siendo raíz en las tinieblas,
vacilante, extendido, tiritando de sueño,
hacia abajo, en las tapias mojadas de la tierra,
absorbiendo y pensando, comiendo cada día.

No quiero para mí tantas desgracias.
No quiero continuar de raíz y de tumba,
de subterráneo solo, de bodega con muertos
ateridos, muriéndome de pena.

Por eso el día lunes arde como el petróleo
cuando me ve llegar con mi cara de cárcel,
y aúlla en su transcurso como una rueda herida,
y da pasos de sangre caliente hacia la noche.

Y me empuja a ciertos rincones, a ciertas casas húmedas,
a hospitales donde los huesos salen por la ventana,
a ciertas zapaterías con olor a vinagre,
a calles espantosas como grietas.

Hay pájaros de color de azufre y horribles intestinos
colgando de las puertas de las casas que odio,
hay dentaduras olvidadas en una cafetera,
hay espejos
que debieran haber llorado de vergüenza y espanto,
hay paraguas en todas partes, y venenos, y ombligos.

Yo paseo con calma, con ojos, con zapatos,
con furia, con olvido,
paso, cruzo oficinas y tiendas de ortopedia,
y patios donde hay ropas colgadas de un alambre:
calzoncillos, toallas y camisas que lloran
lentas lágrimas sucias.

Pablo Neruda

Walking Around

Il arrive que je me lasse d'être homme.
Il arrive que j'entre chez les tailleurs et dans les cinémas
fané, impénétrable, comme un cygne de feutre
naviguant sur une eau d'origine et de cendre.

L'odeur des coiffeurs me fait pleurer à cris.
Je ne veux qu'un repos de pierres ou de laine,
je veux seulement ne pas voir d'établissement ni de jardins,
ni de marchandises, ni de lunettes, ni d'ascenseurs.

Il arrive que je me lasse de mes pieds et de mes ongles,
de mes cheveux et de mon ombre.
Il arrive que je me lasse d'être homme.

Il serait cependant délicieux
d'effrayer un notaire avec un lys coupé
ou de donner la mort à une religieuse d'un coup d'oreille.
Il serait beau
d'aller par les rues avec un couteau vert
et en criant jusqu'à mourir de froid.

Je ne veux pas continuer à être une racine dans les ténèbres,
vaccillant, étendu, grelottant de rêve,
en dessous, dans les pisés mouillés de la terre,
absorbant et pensant, mangeant chaque jour.

Je ne veux pas pour moi tant de malheur.
Je ne veux pas continuer avec la racine et la tombe,
avec le souterrain solitaire, avec la cave aux morts
transis, me mourant de chagrin.

Voilà pourquoi le lundi flambe comme le pétrole
lorsqu'il me voit arriver avec ma face de prison,
il aboie dans son parcours comme une roue blessée,
et marche à pas de sang chaud vers la nuit.

Et il me pousse vers certains coins, vers certaines maisons humides,
vers des hôpitaux où les os sortent par la fenêtre,
vers certaines cordonneries à l'odeur de vinaigre,
vers certaines rues effroyables comme des crevasses.

Il y a des oiseaux couleur de soufre et d'horribles intestins
pendant aux portes des maisons que je hais,
il y a des dentiers oubliés dans une cafetière,
il y a des miroirs
qui devraient avoir pleuré de honte et d'épouvante,
il y a de tous côtés des parapluies, et des poisons et des nombrils.

Je me promène paisiblement, avec des yeux, avec des chaussures,
avec fureur, avec oubli,
je passe, je traverse des bureaux et des magasins d'orthopédie
et des cours où il y a des vêtements pendus à un fil de fer:
caleçons, serviettes et chemises qui pleurent
de longues larmes sales.



Walking Around

It so happens I'm tired of just being a man.
I go to a movie, drop in at the tailor's -- it so happens --
feeling wizened and numbed, like a big, wooly swan,
awash on an ocean of clinkers and causes.

A whiff from a barbershop does it: I yell bloody murder.
All I ask is a little vacation from things: from boulders and woolens,
from gardens, institutional projects, merchandise,
eyeglasses, elevators--I'd rather not look at them.

It so happens I'm fed--with my feet and my fingernails
and my hair and my shadow.
Being a man leaves me cold: that's how it is.

Still--it would be lovely
to wave a cut lily and panic a notary,
or finish a nun with a jab to the ear.
It would be nice
just to walk down the street with a green switchblade handy,
whooping it up till I die of the shivers.

I won't live like this--like a root in a shadow,
wide-open and wondering, teeth chattering sleepily,
going down to the dripping entrails of the universe
absorbing things, taking things in, eating three squares a day.

I've had all I'll take from catastrophe.
I won't have it this way, muddling through like a root or a grave,
all alone underground, in a morgue of cadavers,
cold as a stiff, dying of misery.

That's why Monday flares up like an oil-slick,
when it sees me up close, with the face of a jailbird,
or squeaks like a broken-down wheel as it goes,
stepping hot-blooded into the night.

Something shoves me toward certain damp houses,
into certain dark corners,
into hospitals, with bones flying out of the windows;
into shoe stores smelling of vinegar,
streets frightful as fissures laid open.

There, trussed to the doors of the houses I loathe
are the sulphurous birds, in a horror of tripes,
dental plates lost in a coffeepot,
mirrors
that must surely have wept with the nightmare and shame of it all;
and everywhere, poisons, umbrellas, and belly buttons.

I stroll and keep cool, in my eyes and my shoes
and my rage and oblivion.
I go on, crossing offices, retail orthopedics,
courtyards with laundry hung out on a wire:
the blouses and towels and the drawers newly washed,
slowly dribbling a slovenly tear.

***

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art work : flowers in a pitcher by Henri Matisse (1906)

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