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Pablo Neruda
(1904-1973)

Vingt poèmes d amour/ une chanson désespérée


Poema 17

Pensando, enredando sombras en la profunda soledad.
Tú también estás lejos, ah más lejos que nadie.
Pensando, soltando pájaros, desvaneciendo imágenes,
enterrando lámparas.
Campanario de brumas, qué lejos, allá arriba!
Ahogando lamentos, moliendo esperanzas sombrías,
molinero taciturno,
se te viene de bruces la noche, lejos de la ciudad.

Tu presencia es ajena, extraña a mí como una cosa.
Pienso, camino largamente, mi vida antes de ti.
Mi vida antes de nadie, mi áspera vida.
El grito frente al mar, entre las piedras,
corriendo libre, loco, en el vaho del mar.
La furia triste, el grito, la soledad del mar.
Desbocado, violento, estirado hacia el cielo.

Tú, mujer, qué eras allí, qué raya, qué varilla
de ese abanico inmenso? Estabas lejos como ahora.
Incendio en el bosque! Arde en cruces azules.
Arde, arde, llamea, chispea en árboles de luz.
Se derrumba, crepita. Incendio. Incendio.

Y mi alma baila herida de virutas de fuego.
Quien llama? Qué silencio poblado de ecos?
Hora de la nostalgia, hora de la alegría, hora de la soledad,
hora mía entre todas!
Bocina en que el viento pasa cantando.
Tanta pasión de llanto anudada a mi cuerpo.

Sacudida de todas las raíces,
asalto de todas las olas!
Rodaba, alegre, triste, interminable, mi alma.

Pensando, enterrando lámparas en la profunda soledad.
Quién eres tú, quién eres?

Pablo Neruda

Poème 17

En pensant, en prenant des ombres au filet dans la solitude profonde.
Toi aussi tu es loin, bien plus loin que personne.
Penseur, lâcheur d'oiseaux, images dissipées
et lampes enterrées.
Clocher de brumes, comme tu es loin, tout là-haut!
Étouffant le gémir,
taciturne meunier de la farine obscure de l'espoir,
la nuit s'en vient à toi, rampant, loin de la ville.

Ta présence a changé et m'est chose étrangère.
Je pense, longuement je parcours cette vie avant toi.
Ma vie avant personne, ma vie, mon âpre vie.
Le cri face à la mer, le cri au coeur des pierres,
en courant libre et fou, dans la buée de la mer.
Cri et triste furie, solitude marine.
Emballé, violent, élancé vers le ciel.

Toi, femme, qu'étais-tu alors? Quelle lame, quelle branche
de cet immense éventail ? Aussi lointaine qu'à présent.
Incendie dans le bois ! Croix bleues de l'incendie.
Brûle, brûle et flamboie, pétille en arbres de lumière.
Il s'écroule et crépite. Incendie, incendie.

Blessée par des copeaux de feu mon âme danse.
Qui appelle? Quel silence peuplé d'échos?
Heure de nostalgie, heure de l'allégresse, heure de solitude,
heure mienne entre toutes!
Trompe qui passe en chantant dans le vent.
Tant de passion des pleurs qui se noue à mon corps.

Toutes racines secouées,
toutes les vagues à l'assaut!
Et mon âme roulait, gaie, triste, interminable.

Pensées et lampes enterrées dans la profonde solitude.
Qui es-tu toi, qui es-tu?



***

Thinking, Tangling Shadows (poem 17)

Thinking, tangling shadows in the deep solitude.
You are far away too, oh farther than anyone.
Thinking, freeing birds, dissolving images,
burying lamps.

Belfry of fogs, how far away, up there!
Stifling laments, milling shadowy hopes,
taciturn miller,
night falls on your face downward, far from the city.

Your presence is foreign, as strange to me as a thing.
I think, I explore great tracts of my life before you.
My life before anyone, my harsh life.
The shout facing the sea, among the rocks,
running free, mad, in the sea-spray.
The sad rage, the shout, the solitude of the sea.
Headlong, violent, stretched towards the sky.

You, woman, what were you there, what ray, what vane
of that immense fan? You were as far as you are now.
Fire in the forest! Burn in blue crosses.
Burn, burn, flame up, sparkle in trees of light.

It collapses, crackling. Fire. Fire.
And my soul dances, seared with curls of fire.
Who calls? What silence peopled with echoes?
Hour of nostalgia, hour of happiness, hour of solitude,
hour that is mine from among them all!

Hunting horn through which the wind passes singing.
Such a passion of weeping tied to my body.
Shaking of all the roots,
attack of all the waves!
My soul wandered, happy, sad, unending.

Thinking, burying lamps in the deep solitude.
Who are you, who are you?




Poema 18

Aquí te amo.
En los oscuros pinos se desenreda el viento.
Fosforece la luna sobre las aguas errantes.
Andan días iguales persiguiéndose.

Se desciñe la niebla en danzantes figuras.
Una gaviota de plata se descuelga del ocaso.
A veces una vela. Altas, altas estrellas.

O la cruz negra de un barco.
Solo.
A veces amanezco, y hasta mi alma está húmeda.
Suena, resuena el mar lejano.
Este es un puerto.
Aquí te amo.

Aquí te amo y en vano te oculta el horizonte.
Te estoy amando aún entre estas frías cosas.
A veces van mis besos en esos barcos graves,
que corren por el mar hacia donde no llegan.

Ya me veo olvidado como estas viejas anclas.
Son más tristes los muelles cuando atraca la tarde.
Se fatiga mi vida inútilmente hambrienta.
Amo lo que no tengo. Estás tú tan distante.

Mi hastío forcejea con los lentos crepúsculos.
Pero la noche llega y comienza a cantarme.
La luna hace girar su rodaje de sueño.

Me miran con tus ojos las estrellas más grandes.
Y como yo te amo, los pinos en el viento,
quieren cantar tu nombre con sus hojas de alambre.

Pablo Neruda

Poème 18

Ici je t'aime.
Dans les pins obscurs le vent se démêle.
La lune resplendit sur les eaux vagabondes.
Des jours égaux marchent et se poursuivent.

Le brouillard en dansant qui dénoue sa ceinture.
Une mouette d'argent du couchant se décroche.
Une voile parfois. Haut, très haut, les étoiles.

Ô la croix noire d'un bateau.
Seul.
Le jour parfois se lève en moi, et même mon âme est humide.
La mer au loin sonne et résonne.
Voici un port.
Ici je t'aime.

Ici je t'aime. En vain te cache l'horizon.
Tu restes mon amour parmi ces froides choses.
Parfois mes baisers vont sur ces graves bateaux
qui courent sur la mer au but jamais atteint.

Suis-je oublié déjà comme ces vieilles ancres.
Abordé par le soir le quai devient plus triste.
Et ma vie est lassée de sa faim inutile.
J'aime tout ce que je n'ai pas. Et toi comme tu es loin.

Mon ennui se débat dans les lents crépuscules.
Il vient pourtant la nuit qui chantera pour moi.
La lune fait tourner ses rouages de songe.

Avec tes yeux me voient les étoiles majeures.
Pliés à mon amour, les pins dans le vent veulent
chanter ton nom avec leurs aiguilles de fer.



***

Here I Love You (poem 18)

Here I love you.
In the dark pines the wind disentangles itself.
The moon glows like phosphorous on the vagrant waters.
Days, all one kind, go chasing each other.

The snow unfurls in dancing figures.
A silver gull slips down from the west.
Sometimes a sail. High, high stars.

Oh the black cross of a ship.
Alone.
Sometimes I get up early and even my soul is wet.
Far away the sea sounds and resounds.
This is a port.
Here I love you.

Here I love you and the horizon hides you in vain.
I love you still among these cold things.
Sometimes my kisses go on those heavy vessels
that cross the sea towards no arrival.

I see myself forgotten like those old anchors.
The piers sadden when the afternoon moors there.
My life grows tired, hungry to no purpose.
I love what I do not have. You are so far.

My loathing wrestles with the slow twilights.
But night comes and starts to sing to me.
The moon turns its clockwork dream.

The biggest stars look at me with your eyes.
And as I love you, the pines in the wind
want to sing your name with their leaves of wire.




Poema 19

Esta obra fue escrita por Pablo Neruda Publicada originalmente en Santiago de Chile por Editorial Nascimento © 1924 Pablo Neruda y Herederos de Pablo Neruda

Niña morena y ágil, el sol que hace las frutas,
el que cuaja los trigos, el que tuerce las algas,
hizo tu cuerpo alegre, tus luminosos ojos
y tu boca que tiene la sonrisa del agua.

Un sol negro y ansioso se te arrolla en las hebras
de la negra melena, cuando estiras los brazos.
Tú juegas con el sol como con un estero
y él te deja en los ojos dos oscuros remansos.

Niña morena y ágil, nada hacia ti me acerca.
Todo de ti me aleja, como del mediodía.
Eres la delirante juventud de la abeja,
la embriaguez de la ola, la fuerza de la espiga.

Mi corazón sombrío te busca, sin embargo,
y amo tu cuerpo alegre, tu voz suelta y delgada.
Mariposa morena dulce y definitiva
como el trigal y el sol, la amapola y el agua.

Pablo Neruda

Poème 19

Esta obra fue escrita por Pablo Neruda Publicada originalmente en Santiago de Chile por Editorial Nascimento © 1924 Pablo Neruda y Herederos de Pablo Neruda

Fille brune, fille agile, le soleil qui fait les fruits,
qui alourdit les blés et tourmente les algues,
a fait ton corps joyeux et tes yeux lumineux
et ta bouche qui a le sourire de l'eau.

Noir, anxieux, un soleil s'est enroulé aux fils
de ta crinière noire, et toi tu étires les bras.
Et tu joues avec lui comme avec un ruisseau,
qui laisse dans tes yeux deux sombres eaux dormantes.

Fille brune, fille agile, rien ne me rapproche de toi.
Tout m'éloigne de toi, comme du plein midi.
Tu es la délirante enfance de l'abeille,
la force de l'épi, l'ivresse de la vague.

Mon coeur sombre pourtant te cherche,
J'aime ton corps joyeux et ta voix libre et mince.
Ô mon papillon brun, doux et définitif,
tu es blés et soleil eau et coquelicot.



***

Girl Lithe and Tawny (poem 19)

Girl lithe and tawny, the sun that forms
the fruits, that plumps the grains, that curls seaweeds
filled your body with joy, and your luminous eyes
and your mouth that has the smile of the water.

A black yearning sun is braided into the strands
of your black mane, when you stretch your arms.
You play with the sun as with a little brook
and it leaves two dark pools in your eyes.

Girl lithe and tawny, nothing draws me towards you.
Everything bears me farther away, as though you were noon.
You are the frenzied youth of the bee,
the drunkenness of the wave, the power of the wheat-ear.

My somber heart searches for you, nevertheless,
and I love your joyful body, your slender and flowing voice.
Dark butterfly, sweet and definitive
like the wheat-field and the sun, the poppy and the water.




Poema 20

Puedo escribir los versos mas tristes esta noche.

Escribir, por ejemplo: "La noche esta estrellada, y
tiritan, azules, los astros, a lo lejos".

El viento de la noche gira en el cielo y canta.

Puedo escribir los versos mas tristes esta noche.
Yo la quise, y a veces ella también me quiso.

En las noches como esta la tuve entre mis brazos.
La bese tantas veces bajo el cielo infinito.

Ella me quiso, a veces yo también la quería.
Como no haber amado sus grandes ojos fijos.

Puedo escribir los versos mas tristes esta noche.
Pensar que no la tengo. Sentir que la he perdido.

Oír la noche inmensa, mas inmensa sin ella.
Y el verso cae al alma como al pasto el rocío.

Que importa que mi amor no pudiera guardarla.
La noche esta estrellada y ella no esta conmigo.

Eso es todo. A lo lejos alguien canta. A lo lejos.
Mi alma no se contenta con haberla perdido.

Como para acercarla mi mirada la busca.
Mi corazón la busca, y ella no esta conmigo.

La misma noche que hace blanquear los mismos arboles.
Nosotros, los de entonces, ya no somos los mismos.

Ya no la quiero, es cierto, pero cuanto la quise.
Mi voz buscaba el viento para tocar su oído.

De otro. Será de otro. Como antes de mis besos.
Su voz, su cuerpo claro. Sus ojos infinitos.

Ya no la quiero, es cierto, pero tal vez la quiero.
Es tan corto el amor, y es tan largo el olvido.

Porque en noches como esta la tuve entre mis brazos,
mi alma no se contenta con haberla perdido.

Aunque este sea el ultimo dolor que ella me causa,
y estos sean los últimos versos que yo le escribo.

Pablo Neruda©

Poème 20

Je peux écrire les vers les plus tristes cette nuit.

Écrire, par exemple: "La nuit est étoilée
et les astres d'azur tremblent dans le lointain."

Le vent de la nuit tourne dans le ciel et chante.

Je puis écrire les vers les plus tristes cette nuit.
Je l'aimais, et parfois elle aussi elle m'aima.

Les nuits comme cette nuit, je l'avais entre mes bras.
Je l'embrassai tant de fois sous le ciel, ciel infini.

Elle m'aima, et parfois moi aussi je l'ai aimée.
Comment n'aimerait-on pas ses grands yeux fixes.

Je peux écrire les vers les plus tristes cette nuit.
Penser que je ne l'ai pas. Regretter l'avoir perdue.

Entendre la nuit immense, et plus immense sans elle.
Et le vers tombe dans l'âme comme la rosée dans l'herbe.

Qu'importe que mon amour n'ait pas pu la retenir.
La nuit est pleine d'étoiles, elle n'est pas avec moi.

Voilà tout. Au loin on chante. C'est au loin.
Et mon âme est mécontente parce que je l'ai perdue.

Comme pour la rapprocher, c'est mon regard qui la cherche.
Et mon coeur aussi la cherche, elle n'est pas avec moi.

Et c'est bien la même nuit qui blanchit les mêmes arbres.
Mais nous autres, ceux d'alors, nous ne sommes plus les mêmes.

je ne l'aime plus, c'est vrai. Pourtant, combien je l'aimais.
Ma voix appelait le vent pour aller à son oreille.

A un autre. A un autre elle sera. Ainsi qu'avant mes baisers.
Avec sa voix, son corps clair. Avec ses yeux infinis.

je ne l'aime plus, c'est vrai, pourtant, peut-être je l'aime.
Il est si bref l'amour et l'oubli est si long.

C'était en des nuits pareilles, je l'avais entre mes bras
et mon âme est mécontente parce que je l'ai perdue.

Même si cette douleur est la dernière par elle
et même si ce poème est les derniers vers pour elle.

(traduit par André Bonhomme et Jean Marcenac)



***

Tonight I Can Write (poem 20)

Tonight I can write the saddest lines.

Write, for example, "The night is starry
and the stars are blue and shiver in the distance."

The night wind revolves in the sky and sings.

Tonight I can write the saddest lines.
I loved her, and sometimes she loved me too.

Through nights like this one I held her in my arms.
I kissed her again and again under the endless sky.

She loved me, sometimes I loved her too.
How could one not have loved her great still eyes.

Tonight I can write the saddest lines.
To think that I do not have her. To feel that I have lost her.

To hear the immense night, still more immense without her.
And the verse falls to the soul like dew to the pasture.

What does it matter that my love could not keep her.
The night is starry and she is not with me.

This is all. In the distance someone is singing. In the distance.
My soul is not satisfied that it has lost her.

My sight tries to find her as though to bring her closer.
My heart looks for her, and she is not with me.

The same night whitening the same trees.
We, of that time, are no longer the same.

I no longer love her, that's certain, but how I loved her.
My voice tried to find the wind to touch her hearing.

Another's. She will be another's. As she was before my kisses.
Her voice, her bright body. Her infinite eyes.

I no longer love her, that's certain, but maybe I love her.
Love is so short, forgetting is so long.

Because through nights like this one I held her in my arms
my soul is not satisfied that it has lost her.

Though this be the last pain that she makes me suffer
and these the last verses that I write for her.

***

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