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Avec mon chant
Je charmerai la fille de Déméter,
Je charmerai le Souverain des Ombres;
J'attendrirai leurs coeurs avec ma mélodie
Et loin du Hadès, j'emporterai Eurydice.
***
Orphée et Eurydice
Les premiers musiciens furent les dieux. Athéna ne se distinguait pas dans cet
art mais ce fut elle qui inventa la flûte bien qu'elle n'en jouât jamais.
Hermès créa la lyre, dont il fit présent à Apollon, et celui-ci en tirait
des sons si mélodieux quand il en jouait dans l'Olympe, que les dieux en
oubliaient tout le reste. Pour lui-même Hermès fit encore le fifre du
berger, dont la musique était enchanteresse. Pan créa le pipeau du roseau,
dont le chant est aussi doux que celui du rossignol au printemps. Les Muses
n'avaient pas d'instrument qui leur fût propre mais leurs voix étaient sans
pareilles.
Venaient ensuite quelques mortels qui excellaient dans leur art au point
d'égaler ou presque les divins exécutants. Parmi ceux-là Orphée fut de loin
le plus grand. Par sa mère il était plus qu'un mortel; en effet, il était
le fils d'une Muse et d'oeagre, roi de Thrace. Il tenait de sa mère
le don de la musique que la Thrace, pays où il grandit, devait encore
développer, car les Thraces étaient le peuple plus musicien de la Grèce;
mais pas plus chez eux qu'ailleurs —sauf chez les dieux— Orphée ne trouvait
de rival. Lorsqu'il chantait ou jouait, son pouvoir ne connaissait pas
de limite et rien ni personne ne pouvait lui résister
Dans les bois profonds et tranquilles des montagnes de
Thrace,
Orphée, avec sa lyre chantante entraînait les arbres,
Et les bêtes sauvages du désert accouraient à ses pieds.
Tout ce qui était animé ou inanimé le suivait; les rochers, les collines
se déplaçaient et les fleuves changeaient leurs cours.
On sait peu de chose de sa vie avant son infortuné marriage qui plus encore
que sa musique, l'a rendu célèbre, mais on nous dit qu'il prit part à une
expédition fameuse pendant laquelle il se montra fort utile.
Avec Jason il prit la mer sur l'Argo et lorsque les héros étaient las ou lorsque le
travail des rames leur devenait particulièrement pénible, Orphée faisait
vibrer sa lyre; aussitôt, un nouveau zèle les prenait et d'un seul
mouvement leurs avirons frappaient la mer, au rythme de sa mélodie. Ou
encore, quand une querelle menaçait, il tirait de son instrument
des sons si tendres, si apaisants, que les plus violents se calmaient et
oubliaient leur colère. Grâce à lui, les héros furent sauvés des Sirènes
dont le chant enchanteur leur parvint un jour par-dessus les flots.
Oublieux de toute autre pensée, ils furent alors pris d'un désir
désespéré d'en entendre davantage et ils tournèrent leur navire vers
la grève où se tenaient les Sirènes. Mais Orphée, saisissant sa lyre,
en tira une mélodie si claire et vibrante, qu'elle étouffa le son de
ces voix ensorcelantes et fatales. Le navire reprit son cap et les vents
l'entraînèrent loin de ce lieu périlleux. N'eût été la présence
d'Orphée, les Argonautes, eux aussi, auraient laissé leurs os sur
l'île des Sirènes.
On ne nous dit nulle part où et comment il rencontra la jeune fille
qu'il aima, Eurydice; mais il est clair qu'aucune jeune fille
distinguée, par lui n'aurait pu résister au pouvoir de son chant.
Ils s'épousèrent donc, mais leur joie fut brève. La noce à peine
achevée, comme la jeune épousée marchait avec ses demoiselles
d'honneur dans une prairie, une vipère la mordit au pied et elle
mourut. La douleur d'Orphée fut accablante, il ne put l'endurer. Il se
décida de se rendre dans le royaume des morts pour tenter d'en arracher
Eurydice. Il se disait:
***
Il osa ce qu'aucun homme, jamais, n'avait osé pour son amour. Il entreprit
le redoutable voyage dans le monde souterrain. Arrivé là, il fit résonner
sa lyre et toute cette vaste multitude, prise au charme, s'immobilisa.
Le chien Cerbère relâcha sa garde; la roue d'Ixion cessa de tourner;
Sisyphe s'appuya sur sa pierre; Tantale oublia sa soif; pour la
première fois, les visages des Furies, déesses de l'épouvante, se
couvrirent de larmes. Le maître du Hadès et la Reine s'approchèrent
afin de mieux entendre. Orphée chanta.
Ô dieux qui gouvernez le monde de l'ombre et du silence,
Tous ceux qui sont nés de la femme doivent un jour venir à vous.
Toute beauté doit un jour descendre dans votre royaume.
Un instant nous nous attardons sur la terre
Puis nous vous appartenons à jamais.
Mais celle que je cherche est venue à vous trop tôt,
Avant de fleurir le bourgeon fut cueilli,
J'ai tenté en vain de supporter ma perte;
L'Amour est un dieu trop puissant. Ô Roi,
Si ce vieux récit dit par les hommes est vrai,
Tu sais comment, un jour, les fleurs ont vu le rapt de Proserpine.
Alors, tisse à nouveau pour la douce Eurydice
Le voile de la vie trop tôt enlevé du métier.
Vois, je te demande si peu,
Seulement que tu me la prêtes et non que tu me la donnes;
À la fin du cours de ses années terrestres,
Elle sera tienne à jamais.
Sous l'envoûtement de sa voix,
personne ne pouvait rien lui refuser.
Il fit couler des larmes de fer
Au long des joues de Pluton
Et L'Enfer accorda ce qu'implorait l'Amour.
Ils firent venir Eurydice et la rendirent à Orphée, mais à une condition:
il ne se retournerait pas pour la regarder avant d'avoir atteint le monde
des vivants. L'un derrière l'autre, ils passèrent les grandes portes
du Hadès et gravitèrent le sentier en pente qui les éloignerait de
l'obscurité. Il savait qu'elle le suivait pas à pas mais il aurait voulu
jeter ne fût-ce qu'un coup d'oeil pour s'en assurer. Ils avaient maintenant
presque atteint leur but, l'ombre devenait grise. Un pas encore, et il
entra, joyeux dans la lumière du jour. Alors il se retourna. Trop tôt:
elle était encore dans la caverne. Il la vit dans la lumière indécise et
lui tendit les bras; mais dans le même instant, elle disparut. Elle
avait glissé dans l'ombre à nouveau, et il n'entendit qu'un faible mot:
"Adieu".
Il tenta désespérément de se précipiter à sa suite pour descendre avec
elle, mais en vain. Les dieux ne lui permirent pas de pénétrer une
seconde fois, vivant, dans le monde des morts. En proie à la plus
grande désolation, il dut retourner seul sur la terre. Il renonça
à la compagnie des humains et erra désormais dans les solitudes sauvages
de la Thrace, chantant et pleurant sa peine en s'accompagnant sur la lyre.
Et les rochers, les rivières et les arbres, dont il avait fait ses seuls
amis, l'écoutaient avec ravissement.
Un jour enfin, une troupe de Ménades le rencontra par hasard. Elles étaient
aussi délirantes que celles qui avaient si cruellement tué Penthée. Elles
fondirent sur le gentil musicien, elles le mirent en pièces. Elles
jetèrent sa tête dans l'Hèbre et les eaux du fleuve la portèrent
jusqu'aux abords de l'île de Lesbos. Les Muses la trouvèrent et lui
donnèrent une sépulture dans le sanctuaire de l'île; elles rassemblèrent
ses membres épars et les déposèrent dans une tombe, au pied du Mont
Olympe, et là,jusqu'à ce jour, le chant des rossignols se fait
entendre plus doux que partout ailleurs.
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