(Français — Anglais)

Jacques Prévert
(1900-1977)

37ko

La pêche à la baleine

À la pêche à la baleine, à la pêche à la baleine,
Disait le père d'une voix courroucée
À son fils Prosper, sous l'armoire allongé,
À la pêche à la baleine, à la pêche à la baleine,
Tu ne veux pas aller,
Et pourquoi donc?
Et pourquoi donc que j'irais pêcher une bête
Qui ne m'a rien fait, papa,
Va la pêpé, va la pêcher toi-même,
Puisque ça te plaît,
J'aime mieux rester à la maison avec ma pauvre mère
Et le cousin Gaston.
Alors dans sa baleinière le père tout seul s'en est allé
Sur la mer démontée...

Voilà le père sur la mer,
Voilà le fils à la maison,
Voilà la baleine en colère,
Et voilà le cousin Gaston qui renverse la soupière,
La soupière au bouillon.

La mer était mauvaise,
La soupe était bonne.
Et voilà sur sa chaise Prosper qui se désole :
À la pêche à la baleine, je ne suis pas allé,
Et pourquoi donc que j'y ai pas été?
Peut-être qu'on l'aurait attrapée,
Alors j'aurais pu en manger.
Mais voilà la porte qui s'ouvre, et ruisselant d'eau
Le père apparaît hors d'haleine,
Tenant la baleine sur son dos.
Il jette l'animal sur la table,

une belle baleine aux yeux bleus,

Une bête comme on en voit peu,
Et dit d'une voix lamentable :
Dépêchez-vous de la dépecer,
J'ai faim, j'ai soif, je veux manger.
Mais voilà Prosper qui se lève,
Regardant son père dans le blanc des yeux,
Dans le blanc des yeux bleus de son père,
Bleus comme ceux de la baleine aux yeux bleus :
Et pourquoi donc je dépècerais une pauvre bête qui m'a rien fait?
Tant pis, j'abandonne ma part.



Puis il jette le couteau par terre,
Mais la baleine s'en empare, et se précipitant sur le père
Elle le transperce de père en part.




Ah, ah, dit le cousin Gaston,
On me rappelle la chasse, la chasse aux papillons.
Et voilà
Voilà Prosper qui prépare les faire-part,
La mère qui prend le deuil de son pauvre mari
Et la baleine, la larme à l'oeil contemplant le foyer détruit.
Soudain elle s'écrie :
Et pourquoi donc j'ai tué ce pauvre imbécile,
Maintenant les autres vont me pourchasser en moto-godille
Et puis ils vont exterminer toute ma petite famille.
Alors éclatant d'un rire inquiétant,
Elle se dirige vers la porte et dit
À la veuve en passant :
Madame, si quelqu'un vient me demander,
Soyez aimable et répondez :
La baleine est sortie,
Asseyez-vous,
Attendez là,
Dans une quinzaine d'années, sans doute elle reviendra...

Jacques Prévert


Whale Hunt

Off to catch a whale, we're off to catch a whale,
Said a wild man to his son
Ernest, dozing in the sun,
Off to catch awhale, we're off to catch a whale,
And you don't want co come.
Why should I go and catch a fish
That never troubles me?
Father, go and catch the whale
Yourself, you're sure to like the sail.
I'd rather stay at home with mum
And cousin Anthony.
So in his little whaleboat all alone the old man sailed
And the tide rolled out to sea...



The old man's in the boat,
The young son's in the home,
The wild whale's in a temper,
And tiny cousin Tony's bee upsetting all the cups,
All the careul cups of tea.

The storm was very bad,
The tea was very good,
And on his little stool little Ernest's feeling sad :
How I wish that I had saile away with dad to catch a whale.
Whaterver made me stay with mum and cousin Anthony?
We really might have caugh a whale
And eaten it for tea.
But suddenly the handle turns.
Dripping like a fountain,
There's the old man out of breath
With the whale, big as a mountain.

He flings it on the table.

It's the sort of whale that's rare these days.
Lifelessly the old man says :
Hurry up and carve it up,
I'm hungry, thirsty, need some grub.
But little Ernest stands up straight
And looks in the whites of his father's eyes,
In the whites of his father's bright blue eyes
As blue as the eyes of the blue-eyed whale :
Why should I carve a poor old fish
That never troubles me?
I don't want my share.

He throws the knife up in the air
But the whale has grabbed its handle
And attacked the wild old man
And stabbed him through his middle.



Ernest sits addressing many letters edged with black,
The mother wears a hat, a coat, a frock, all deadly black,
And the whale, with tear-stained eyes, looks around the
Shabby wreck
And sobs :
Whaterver made me kill that wretched silly ass?
Now all the rest will chase me in their motor-boats and cars
And exterminate my race and y family tree
Then, bursting into laughter in a strange and frightening
Way,
It swims to the door.
This is what it had to say
As it glided pas the window :
If anyone should ask
For the whale, be polite,
Say it's just gone out to bask.
Tell them to be comfortable,
Tell them not to go,
Tell them I'll look in again in fifteen years or so...

Jacques Prévert (Translated by Stanley Chapman)



Barbara

Rappelle-toi Barbara
Il pleuvait sans cesse sur Brest ce jour-là
Et tu marchais souriante
Épanouie ravie ruisselante
Sous la pluie

Rappelle-toi Barbara
Il pleuvait sans cesse sur Brest
Et je t'ai croisée rue de Siam
Tu souriais
Et moi je souriais de même

Rappelle-toi Barbara
Toi que je ne connaissais pas
Toi qui ne me connaissais pas
Rappelle-toi
Rappelle-toi quand même ce jour-là
N'oublie pas

Un homme sous un porche s'abritait
Et il a crié ton nom
Barbara
Et tu as couru vers lui sous la pluie
Ruisselante ravie épanouie
Et tu t'es jetée dans ses bras
Rappelle-toi cela Barbara

Et ne m'en veux pas si je te tutoie
Je dis tu à tous ceux que j'aime
Même si je les ai vus qu'une seule fois
Je dis tu à tous ceux qui s'aiment
Même si je ne les connais pas

Rappelle-toi Barbara
N'oublie pas
Cette pluie sage et heureuse
Sur ton visage heureux
Sur cette ville heureuse
Cette pluie sur la mer
Sur l'arsenal
Sur le bateau d'Ouessant

Oh Barbara
Quelle connerie la guerre

Qu'es-tu devenue maintenant
Sous cette pluie de fer
De feu d'acier de sang

Et celui qui te serrait dans ses bras
Amoureusement
Est-il mort disparu ou bien encore vivant

Oh Barbara
Il pleut sans cesse sur Brest
Comme il pleuvait avant
Mais ce n'est plus pareil et tout est abîmé
C'est une pluie de deuil terrible et désolée
Ce n'est même plus l'orage
De fer d'acier de sang

Tout simplement des nuages
Qui crèvent comme des chiens
Des chiens qui disparaissent
Au fil de l'eau sur Brest
Et vont pourrir au loin
Au loin très loin de Brest
Dont il ne reste rien.

Jacques Prévert


Barbara

Remember Barbara
It rained endlessly on Brest on that day
And you walked smiling
Radiant enchanted dripping-wet
In the rain

Remember Barbara
It was raining endlessly on Brest
And I came across you in the Rue de Siam
You were smiling
And I smiled the same

Remember Barbara
You whom I did not know
You who did not know me
Remember
Remember even though that very day
Forget not

A man, under a porch, was sheltering
And he called your name
Barbara
And you ran towards him in the rain
Dripping-wet enchanted radiant
And you threw yourself into his arms
Remember that, Barbara

And do not resent it if I call you: "tu"
I say "tu" to everyone I love
Even if I have seen them only once
I say" tu" to all who love each other
Even if I do not know them

Remember Barbara
Forget not
The quiet and happy rain
Hereon your happy face
Hereon the happy town
The rain hereon the merry sea
On the arsenal
On the shuttle boat to Ushant

Oh Barbara
What a bloody farce the war

What's become of you now
In the rain of iron
Of fire, of steel of blood

And the one who clasped you in his arms
Lovingly
Is he now dead, missing, or still alive

Ho Barbara
It's raining endlessly on Brest
As it rained before
But now it is not the same, and all set abased
It is a rain of mourning, terrible and desolate
Now it is even no longer the storm
Of iron, of steel of blood

Merely clouds
That go coma like dogs
Dogs that go missing
Along the current over Brest
And will go pouring in the far
In the very far away from Brest
Of which there is nothing left

Jacques Prévert
(translated by Gilles de Sèze, novembre 2003)



Sables mouvants

Démons et merveilles
Vents et marées
Au loin déja la mer s'est retirée
Démons et merveilles
Vents et marées
Et toi
Comme une algue doucement carressée par le vent
Dans les sables du lit tu remues en revant
Démons et merveilles
Vents et marées
Au loin déja la mer s'est retirée
Mais dans tes yeux entrouverts
Deux petites vagues sont restées
Démons et merveilles
Vents et marées
Deux petites vagues pour me noyer.

Jacques Prévert
Poème mis en musique par Kosma
dans le film "Les visiteurs du soir"


Quicksands

Demons and Wonders
Winds and Tides
Yet in the distance the sea has withdrawn
Demons and Wonders
Winds and Tides
And you
Like a seaweed the wind gently caresses
In the sands of the bed you're moving dreaming
Demons and Wonders
Winds and Tides
Yet in the distance the sea has withdrawn
But in your half-opened eyes
Two small waves staid
Demons and Wonders
Winds and Tides
Two small waves to drown myself.

(translated by Gilles de Sèze, novembre 2003)



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Art work: The Wahe Hunt by Warren Gebert

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