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Pablo Neruda
(1904-1973)


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Fabula de la sirena y los borrachos

TODOS estos señores estaban dentro
cuando ella entró completamente desnuda
ellos habían bebido y comenzaron a escupirla
ella no entendía nada recién salía del río
era una sirena que se había extraviado
los insultos corrían sobre su carne lisa
la inmundicia cubrió sus pechos de oro
ella no sabía llorar por eso no lloraba
no sabía vestirse por eso no se vestía
la tatuaron con cigarrillos y con corchos quemados
y reían hasta caer al suelo de la taberna
ella no hablaba porque no sabía hablar
sus ojos eran color de amor distante
sus brazos construidos de topacios gemelos
sus labios se cortaron en la luz del coral
y de pronto salió por esa puerta
apenas entró al río quedó limpia
relució como una piedra blanca en la lluvia
y sin mirar atrás nadó de nuevo
nadó hacia nunca más hacia morir.

Pablo Neruda

Fable de la sirène et des ivrognes

Tous ces messieurs étaient là-bas
Lorsqu'elle entra complètement nue
Ils avaient bu et commencèrent à lui cracher dessus
Elle ne comprenait rien, elle sortait à peine du fleuve
C'était une sirène qui s'était égarée
Les insultes couraient sur sa chair lisse
L'immondice couvrait ses seins d'or
Elle ne savait pas pleurer c'est pourquoi elle ne pleurait pas
Elle ne savait pas s'habiller c'est pourquoi elle ne s'habillait pas
Ils la tatouèrent avec des cigarettes et des bouchons brûlés
Et ils riaient jusqu'à tomber sur le sol de la taverne
Elle ne parlait pas car elle ne savait pas parler
Ses yeux étaient couleur d'amour lointain
Ses bras bâtis de topazes jumeaux
Ses lèvres se coupèrent dans la lumière du corail
Et tout à coup elle sortit par cette porte
À peine entra t-elle dans le fleuve qu'elle fut propre
Elle resplendit comme une pierre blanche dans la pluie
Et sans se retourner elle nagea à nouveau
Elle nagea vers jamais plus vers la mort.



Fable of the Mermaid and the Drunks

All these fellows were there inside when she entered
Utterly naked.
They'd been drinking and began to spit at her,
Recently come from the river, she understood nothing.
She was a mermaid who had lost her way,
The taunts flowed over her glistening flesh
Obscenities drenched her golden breasts.
A stranger to tears, she did not weep,
A stranger to clothes, she did not dress.
They pocked her with cigarette ends and with burnt corks
And rolled on the tavern floor in raucous laughter
She did not speak, since speech was unknown to her
Her eyes were the color of far away love
Her arms were matching topazes
Her lips moved soundlessly in coral light
And ultimately she left by that door
Hardly had she entered the river than she was cleansed
Gleaming once more like a white stone in the rain
And without a backward look, she swam once more
Swam towards nothingness, swam to her dawn.




Ode al Mar

AQUÍ en la isla
el mar
y cuánto mar
se sale de sí mismo
a cada rato,
dice que sí, que no,
que no, que no, que no,
dice que si, en azul,
en espuma, en galope,
dice que no, que no.
No puede estarse quieto,
me llamo mar, repite
pegando en una piedra
sin lograr convencerla,
entonces
con siete lenguas verdes
de siete perros verdes,
de siete tigres verdes,
de siete mares verdes,
la recorre, la besa,
la humedece
y se golpea el pecho
repitiendo su nombre.
Oh mar, así te llamas,
oh camarada océano,
no pierdas tiempo y agua,
no te sacudas tanto,
ayúdanos,
somos los pequeñitos
pescadores,
los hombres de la orilla,
tenemos frío y hambre
eres nuestro enemigo,
no golpees tan fuerte,
no grites de ese modo,
abre tu caja verde
y déjanos a todos
en las manos
tu regalo de plata:
el pez de cada día.

Aquí en cada casa
lo queremos
y aunque sea de plata,
de cristal o de luna,
nació para las pobres
cocinas de la tierra.
No lo guardes,
avaro,
corriendo frío como
relámpago mojado
debajo de tus olas.
Ven, ahora,
ábrete
y déjalo
cerca de nuestras manos,
ayúdanos, océano,
padre verde y profundo,
a terminar un día
la pobreza terrestre.
Déjanos
cosechar la infinita
plantación de tus vidas,
tus trigos y tus uvas,
tus bueyes, tus metales,
el esplendor mojado
y el fruto sumergido.

Padre mar, ya sabemos
cómo te llamas, todas
las gaviotas reparten
tu nombre en las arenas:
ahora, pórtate bien,
no sacudas tus crines,
no amenaces a nadie,
no rompas contra el cielo
tu bella dentadura,
déjate por un rato
de gloriosas historias,
danos a cada hombre,
a cada
mujer y a cada niño,
un pez grande o pequeño
cada día.
Sal por todas las calles
del mundo
a repartir pescado
y entonces
grita,
grita
para que te oigan todos
los pobres que trabajan
y digan,
asomando a la boca
de la mina:
"Ahí viene el viejo mar
repartiendo pescado".
Y volverán abajo,
a las tinieblas,
sonriendo, y por las calles
y los bosques
sonreirán los hombres
y la tierra
con sonrisa marina.
Pero
si no lo quieres,
si no te da la gana,
espérate,
espéranos,
lo vamos a pensar,
vamos en primer término
a arreglar los asuntos
humanos,
los más grandes primero,
todos los otros después,
y entonces
entraremos en ti,
cortaremos las olas
con cuchillo de fuego,
en un caballo eléctrico
saltaremos la espuma,
cantando
nos hundiremos
hasta tocar el fondo
de tus entrañas,
un hilo atómico
guardará tu cintura,
plantaremos
en tu jardín profundo
plantas
de cemento y acero,
te amarraremos
pies y manos,
los hombres por tu piel
pasearán escupiendo,
sacándote racimos,
construyéndote arneses,
montándote y domándote
dominándote el alma.
Pero eso será cuando
los hombres
hayamos arreglado
nuestro problema,
el grande,
el gran problema.
Todo lo arreglaremos
poco a poco:
te obligaremos, mar,
te obligaremos, tierra,
a hacer milagros,
porque en nosotros mismos,
en la lucha,
está el pez, está el pan,
está el milagro.

Pablo Neruda

Ode à la mer

ICI dans l'île
la mer
et quelle étendue!
sort hors de soi
à chaque instant,
en disant oui, en disant non,
non et non et non,
en disant oui, en bleu,
en écume, en galop,
en disant non, et non.
Elle ne peut rester tranquille,
je me nomme la mer, répète-t-elle
en frappant une pierre
sans arriver à la convaincre,
alors
avec sept langues vertes
de sept chiens verts,
de sept tigres verts,
de sept mers vertes,
elle la parcourt, l'embrasse,
l'humidifie
et elle se frappe la poitrine
en répétant son nom.
ô mer, ainsi te nommes-tu.
ô camarade océan,
ne perds ni temps ni eau,
ne t'agite pas autant,
aide-nous,
nous sommes
les petits pêcheurs,
les hommes du bord,
nous avons froid et faim
tu es notre ennemie,
ne frappe pas aussi fort,
ne crie pas de la sorte,
ouvre ta caisse verte
et laisse dans toutes nos mains
ton cadeau d'argent:
le poisson de chaque jour.


Ici dans chaque maison
on le veut
et même s'il est en argent,
en cristal ou en lune,
il est né pour les pauvres
cuisines de la terre.
Ne le garde pas,
avare,
roulant le froid comme
un éclair mouillé
sous tes vagues.
Viens, maintenant,
ouvre-toi
et laisse-le
près de nos mains,
aide-nous, océan,
père vert et profond,
à finir un jour
la pauvreté terrestre.
Laisse-nous
récolter l'infinie
plantation de tes vies,
tes blés et tes raisins,
tes boeufs, tes métaux,
la splendeur mouillée
et le fruit submergé.

Père océan, nous savons
comment tu t'appelles,
toutes les mouettes distribuent
ton nom dans les sables:
mais sois sage,
n'agite pas ta crinière,
ne menace personne,
ne brise pas contre le ciel
ta belle denture,
oublie pour un moment
les glorieuses histoires,
donne à chaque homme,
à chaque femme
et à chaque enfant,
un poisson grand ou petit
chaque jour.
Sors dans toutes les rues
du monde
distribuer le poisson
et alors
crie,
crie
pour que tous les pauvres
qui travaillent t'entendent
et disent
en regardant au fond
de la mine:
«Voilà la vieille mer
qui distribue du poisson».
Et ils retourneront en bas,
aux ténèbres,
en souriant, et dans les rues
et les bois
les hommes souriront
et la terre
avec un sourire marin.
Mais
si tu ne le veux pas,
si tu n'en as pas envie,
attends,
attends-nous,
nous réfléchirons,
nous allons en premier lieu
arranger les affaires
humaines,
les plus grandes d'abord,
et les autres après,
et alors,
en entrera en toi,
nous couperons les vagues
avec un couteau de feu,
sur un cheval électrique
nous sauterons sur l'écume,
en chantant
nous nous enfoncerons
jusqu'à atteindre le fond
de tes entrailles,
un fil atomique
conservera ta ceinture,
nous planterons
dans ton jardin profond
des plantes
de ciment et d'acier,
nous te ligoterons
les pieds et les mains,
les hommes sur ta peau
se promèneront en crachant
en prenant tes bouquets,
en construisant des harnais,
en te montant et en te domptant,
en te dominant l'âme.
Mais cela arrivera lorsque
nous les hommes
réglerons
notre problème,
le grand,
le grand problème.
Nous résoudrons tout
petit à petit:
nous t'obligerons, mer,
nous t'obligerons, terre,
à faire des miracles,
parce qu'en nous,
dans la lutte,
il y a le poisson, il y a le pain,
il y a le miracle.

Traduit par Ricard Ripoll i Villanueva



Ode To the Sea

HERE
Surrounding the island
There's sea.
But what sea?
It's always overflowing.
Says yes,
Then no,
Then no again,
And no,
Says yes
In blue
In sea spray
Raging,
Says no
And no again.
It can't be still.
It stammers
My name is sea.

It slaps the rocks
And when they aren't convinced,
Strokes them
And soaks them
And smothers them with kisses.
With seven green tongues
Of seven green dogs
Or seven green tigers
Or seven green seas,
Beating its chest,
Stammering its name,

Oh Sea,
This is your name.
Oh comrade ocean,
Don't waste time
Or water
Getting so upset
Help us instead.
We are meager fishermen,
Men from the shore
Who are hungry and cold
And you're our foe.
Don't beat so hard,
Don't shout so loud,
Open your green coffers,
Place gifts of silver in our hands.
Give us this day
our daily fish.




Oda a la belle desnuda

Con casto corazón,
con ojos puros, te celebro, belleza,
reteniendo la sangre
para que surja y siga la línea, tu contorno,
para que te acuestes a mi oda
como en tierra de bosques o de espuma,
en aroma terrestre o en música marina.

Bella desnuda,
igual tus pies arqueados
por un antiguo golpe de viento o del sonido
que tus orejas, caracolas mínimas
del espléndido mar americano.
Iguales son tus pechos de paralela plenitud,
colmados por la luz de la vida.
Iguales son volando tus párpados de trigo
que descubren o cierran
dos países profundos en tus ojos.

La línea que tu espalda ha dividido en pálidas regiones
se pierde y surge en dos tersas mitades de manzana,
y sigue separando tu hermosura en dos columnas
de oro quemado, de alabastro fino,
a perderse en tus pies como en dos uvas,
desde donde otra vez arde y se eleva
el árbol doble de tu simetría,
fuego florido, candelabro abierto,
turgente fruta erguida
sobre el pacto del mar y de la tierra.

Tu cuerpo, en qué materia,
ágata, cuarzo, trigo,
se plasmó, fue subiendo
como el pan se levanta
de la temperatura
y señaló colinas
plateadas,
valles de un solo pétalo, dulzuras
de profundo terciopelo,
hasta quedar cuajada
la fina y firme forma femenina?

No sólo es luz que cae sobre el mundo
lo que alarga en tu cuerpo
su nieve sofocada,
sino que se desprende
de ti la claridad como si fueras
encendida por dentro.

Debajo de tu piel vive la luna.



Ode à une Beauté Nue

Avec un coeur chaste
Avec des yeux purs je célèbre ta beauté
Tenant la bride du sang
De sorte qu'il puisse jaillir et tracer ton contour
Où tu es couchée dans mon Ode
Comme dans une terre de forêts ou dans la vague déferlante
Dans le terreau aromatique, ou dans la musique de la mer

Beauté nue
Également beaux tes pieds
Cambrés par le tapement originel du vent ou du son
Tes yeux, légers coquillages
De la splendide mer américaine
Tes seins de plénitude égale
Faite de lumière vivante
Tes paupières de blé qui battent
Qui révèlent ou recèlent
Les deux profonds pays de tes yeux

La ligne que tes épaules ont divisée en pales régions
Se perd et se marie dans les compactes moitiés d'une pomme
Continue pour trancher ta beauté en deux colonnes
D'or brun, de pur albâtre
Pour se perdre en les deux grappes de tes pieds
Où connaît un regain ton arbre double et symétrique,
Et s'élève feu en fleur, lustre ouvert
Un fruit qui se gonfle
Au dessus du pacte de la mer et de la terre


De quelle matière
Agate, quartz, blé,
Ton corps est-il fait?
Enflant comme pain au four
Pour signaler argentées des collines
Le clivage d'un seul pétale
Suaves fruits d'un velours profond
Jusqu'à demeurée seule
Etonnée
La délicate et ferme forme féminine


Ce n'est pas seulement la lumière qui tombe sur le monde
et se répand à l'intérieur de ton corps
Et déjà s'étouffe
Sous tant de clarté
Prenant congé de toi
Comme si tu étais en feu à l'intérieur

La lune vit dans le dessin de ta peau

Version française par: Gilles de Seze©



Ode to a Beautiful Nude

With a chaste heart
With pure eyes I celebrate your beauty
Holding the leash of blood
So that it might leap out and trace your outline
Where you lie down in my Ode
As in a land of forests or in surf
In aromatic loam, or in sea music

Beautiful nude
Equally beautiful your feet
Arched by primeval tap of wind or sound
Your ears, small shells
Of the splendid American sea
Your breasts of level plentitude
Fulfilled by living light
Your flying eyelids of wheat
Revealing or enclosing
The two deep countries of your eyes

The line your shoulders have divided into pale regions
Loses itself and blends into the compact halves of an apple
Continues separating your beauty down into two columns of
Burnished gold
Fine alabaster
To sink into the two grapes of your feet
Where your twin symmetrical tree burns again and rises
Flowering fire
Open chandelier
A swelling fruit
Over the pact of sea and earth

From what materials
Agate?
Quartz?
Wheat?
Did your body come together?
Swelling like baking bread to signal silvered hills
The cleavage of one petal
Sweet fruits of a deep velvet
Until alone remained
Astonished
The fine and firm feminine form

It is not only light that falls over the world spreading inside your body
Yet suffocate itself
So much is clarity
Taking its leave of you
As if you were on fire within

The moon lives in the lining of your skin

***

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Chef d'oeuvre —  Artwork: Meißen China

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