(Français — Anglais)

Walt Whitman
(1819-1892)


A Sea symphony

traduction du poème de Walt Whitman
I. Un chant pour toutes les mers, pour tous les bateaux Voyez d'abord la mer,
puis sur sa poitrine sans limite, dilatée, les bateaux;
voyez comme leurs voiles blanches, gonflées dans le vent, émaillent le vert et le bleu.
Voyez les vapeurs qui, jetant leur panache, entrent dans le port ou en sortent.
Voyez ténébreuses et ondoyantes, les longues oriflammes de fumée.
Voyez d'abord la mer,
puis sur sa poitrine sans limite, dilatée, les bateaux.

Aujourd'hui un bref récitatif rudimentaire,
de bateaux sillonnant les mers, avec chacun son pavillon ou son fanion personnel,
de héros anonymes, leurs équipages,
de vagues qui s'étendent, s'étendent à perte de vue,
d'embruns qui cinglent, et ces vents qui sifflent et soufflent,
d'où surgit un hymne aux marins de toutes les nations,
fluctuant comme une houle.
De capitaines jeunes et vieux, de seconds, et de tous les matelots intrépides,
des quelques uns, l'élite, taciturnes, que le destin ne peut jamais surprendre ni la mort effrayer,
pris avec parcimonie, sans bruit, par toi, vieil océan, choisis par toi
- Toi mer qui prends et cueilles cette race, au jour dit, et qui unis les nations -,
allaités par toi, vieille nourrice rauque, t'incarnant,
indomptables, indomptés comme toi.

Envoie, ô mer, les différents pavillons de tes nations!
Envoie, visibles comme toujours, les fanions divers!
Mais réserve tout spécialement pour toi et pour l'âme de l'homme un pavillon au dessus de tous les autres,
un fanion spirituel tissé pour toutes les nations, emblème de l'homme, exalté au dessus de la mort.
Témoignage de tous les braves capitaines et de tous les intrépides matelots et seconds,
et de tous ceux qui se sont noyés en faisant leur devoir,
qui célèbre leur mémoire, tressé de tous les capitaines intrépides, jeunes ou vieux,
une oriflamme universelle, qui ondoie légère à jamais au dessus de tous les braves marins,
de toutes les mers, de tous les bateaux.

II. Sur la plage, seul, la nuit

Sur la plage, seul, la nuit,
tandis que la vieille mère se balance, en avant puis en arrière, et chante sa chanson rauque
alors que je regarde l'éclat des étoiles brillantes, me vient une pensée sur la clé des univers et du futur.
Une vaste similitude entrelace toute chose,
toutes les distances d'espace si grandes soient-elles,
toutes les distances de temps,
toutes les âmes, tous les corps vivants pour différents qu'ils soient,
toutes les nations, toutes les identités qui ont existé ou peuvent exister,
toutes les vies et les morts, tout du passé, du présent, du futur,
cette vaste similitude les embrasse, les a toujours embrassés
               et à tout jamais les embrassera et les tiendra étroitement enserrés et ceints.

III. (Scherzo) Les vagues

Derrière le navire, derrière les vents qui sifflent,
derrière les voiles gris-blanc tendues sur leurs mâtures et leurs gréements,
en bas, une myriade, myriade de vaques qui se hâtent, se haussent du col,
tendent en un flux incessant vers le sillage du navire,
vagues de l'océan qui bouillonnent et gargouillent, espiègles et curieuses,
vagues, vagues ondulantes, vagues liquides, inégales, rivales,
vers ce courant tourbillonnant, qui rient et se chevauchent en courbes,
là ou la grande nef, virant de bord dans sa marche, a déplacé la surface.
Vagues plus grandes et plus petites qui flottent nostalgiques sur l'étendue de l'océan
- le sillage du navire après son passage -
flamboyantes et folâtres sous le soleil,
une procession bigarrée en mille mouchetures d'écume et en mille éclats,
suivant le navire majestueux et rapide, le suivant en son sillage.

IV. Les explorateurs

O vaste Rondeur qui nages dans l'espace,
tout enveloppée de visible puissance et de beauté -
la lumière et le jour alternant avec l'obscurité spirituellement foisonnante, hautes processions indicibles de soleil, de lune et d'étoiles sans nombre, là haut,
et en bas, les herbes et les eaux multiples,
dans un dessein impénétrable, quelque intention prophétique cachée -
pour la première fois maintenant il semble que mon esprit commence à t'embrasser.

Descendant des jardins de l'Asie,
apparaissent Adam et Eve, suivis de leur progéniture innombrable;
ils errent, languissent, sans repos explorant,
s'interrogeant, déconcertés, confus, fébriles, le coeur jamais heureux,
avec sans cesse cette triste rengaine - «Pourquoi donc, âme insatisfaite?»
«Vers où, ô vie railleuse?»
Ah! Qui apaisera ces enfants fébriles?
Qui justifiera ces explorations sans repos?
Qui dira le secret de la terre impassible?

Pourtant, mon âme, sois sûre que ce dessein premier demeure et sera poursuivi,
peut être même que le temps en est venu.
Après que les mers auront toutes été parcourues,
après que les grands capitaines et ingénieurs auront accompli leur tâche,
après les nobles inventeurs,
finalement viendra le poète digne de ce nom,
le vrai fils de Dieu viendra et chantera ses chants.

Oh! Nous ne pouvons plus attendre!
Nous aussi, ô mon âme, embarquons
et joyeux, nous aussi lançons-nous sur des mers vierges de sillages,
intrépides, vers des rivages inconnus sur des vagues d'extase,
parmi les vents qui nous poussent (tu me serres contre toi, je te serre contre moi, ô mon Ame!),
chantant gais et libres, entonnant notre chant de Dieu,
chantant notre cantique d'une exploration riche de plaisirs.

O mon âme, tu me donnes ces plaisirs et moi à toi,
lorsque nous sillonnons les mers, ou que nous parcourons les collines, ou que nous veillons la nuit.
Des pensées, de silencieuses pensées de Temps, d'Espace et de Mort, s'écoulant comme de l'eau,
me portent vraiment comme à travers des contrées infinies
dont je respire l'air, dont j'entends la risée, me lavent tout entier,
me baignent, ô Dieu, en toi, m'élevant vers toi,
et moi et mon âme parcourons les horizons à portée de toi.

Ô toi, transcendant,
toi sans nom, la fibre et le souffle,
toi lumière de la lumière, semant devant toi des univers, toi leur centre.
Je me recroquevillerais à l'instant à la pensée de Dieu,
devant la Nature et ses merveilles, Temps, Espace et Mort,
si, me retournant, je ne faisais appel à toi, ô mon âme, toi le vrai moi.
Et voici que tu maîtrises doucement le cours des astres,
tu fais échec au Temps, tu souris heureuse à la Mort,
tu te gonfles et remplis les immensités de l'Espace.

Plus grande que les étoiles ou les soleils,
bondissante, ô mon âme, tu pousses plus avant ton voyage.

Partons, ô mon âme! Lève l'ancre à l'instant!
Coupe les amarres - hâle les bouts - largue une à une chaque voile!
Prends le large - ne mets le cap que sur les grands fonds!
Téméraire, ô mon âme, dans tes explorations, moi avec toi et toi avec moi,
car nous sommes en partance pour ces lieux où aucun marin n'a encore jamais osé aller,
et nous risquerons le navire, nous-mêmes et tout le reste.
Ô mon âme valeureuse!
Oh, vogue, vogue plus loin!
Ô joie audacieuse mais sûre! Les mers ne sont-elles pas toutes de Dieu?
Oh, vogue, vogue plus loin!
Walt Whitman

(Traduction: Philippe Gaulhiac)
référence: http://www.choeursymphonique.org/concerts/sea/traducsea.html

***

A Sea symphony

I. A song for all seas, all ships.

Behold, the sea itself,
And on its limitless, heaving breast, the ships;
See, where their white sails, bellying in the wind, speckle the green and blue,
See, the steamers coming and going, steaming in or out of port,
See, dusky and undulating, the long pennants of smoke.
Behold, the sea itself,
And on its limitless, heaving breast, the ships.

To-day a rude brief recitative,
Of ships sailing the seas, each with its special flag or ship-signal,
Of unnamed heroes in the ships — of waves spreading and spreading far as the eye can reach,
Of dashing spray, and the winds piping and blowing,
And out of these a chant for the sailors of all nations,
Fitful like a surge.
Of sea-captains young and old, and the mates, and of all intrepid sailors,
Of the few, very choice, taciturn, whom fate can never surprise nor death dismay,
Picked sparingly, without noise by thee, old ocean, chosen by thee,
Thou sea that pickest and cullest the race in time, and unitest nations,
Suckled by thee, old husky nurse, embodying thee,
Indomitable, untamed as thee.

Flaunt out, O sea, your separate flags of nations!
Flaunt out visible as ever the various ship-signals!
But do you reserve especially for yourself and for the soul of man one flag above all the rest,
A spiritual woven signal for all nations, emblem of man elate above death,
Token of all brave captains and all intrepid sailors and mates.
And all that went down doing their duty,
Reminiscent of them, twined from all intrepid captains young and old,
A pennant universal, subtly waving all time, o'er all brave sailors,
All seas, all ships.

II. On the beach at night alone

On the beach at night alone,
As the old mother sways her to and fro singing her husky song,
As I watch the bright stars shining, I think a thought of the clef of the universes and of the future.
A vast similitude interlocks all,
All distances of place however wide,
All distances of time,
All souls, all living bodies though they be ever so different,
All nations, all identities that have existed or may exist,
All lives and deaths, all of the past, present, future,
This vast similitude spans them, and always has spanned,
And shall forever span them and compactly hold and enclose them

III. (Scherzo) The waves

After the sea-ship, after the whistling winds,
After the white-gray sails taut to their spars and ropes,
Below, a myriad, myriad waves hastening, lifting up their necks,
Tending in ceaseless flow toward the track of the ship,
Waves of the ocean bubbling and gurgling, blithely prying,
Waves, undulating waves, liquid, uneven, emulous waves,
Toward that whirling current, laughing and buoyant with curves,
Where the great vessel sailing and tacking displaced the surface, Larger and smaller waves in the spread of the ocean yearnfully flowing,
The wake of the sea-ship after she passes, flashing and frolicsome under the sun,
A motley procession with many a fleck of foam and many fragments,
Following the stately and rapid ship, in the wake following.

IV. The explorers

O vast Rondure, swimming in space,
Covered all over with visible power and beauty,
Alternate light and day and the teemimg spiritual darkness,
Unspeakable high processions of sun and moon and countless stars above,
Below, the manifold grass and waters,
With inscrutable purpose, some hidden prophetic intention,
Now first it seems my thought begins to span thee.

Down from the gardens of Asia descending,
Adam and Eve appear, then their myriad progeny after them,
Wandering, yearning, with restless explorations,
questionings, baffled, formless, feverish, with never-happy hearts
that sad incessant refrain, — ‘Wherefore unsatisfied soul?
Whither O mocking life?’
Ah who shall soothe these feverish children?
Who justify these restless explorations?
Who speak the secret of impassive earth?

Yet soul be sure the first intent remains, and shall be carried out,
Perhaps even now the time has arrived.
After the seas are all crossed,
After the great captains and engineers have accomplished their work,
After the noble inventors,
Finally shall come the poet worthy that name,
The true son of God shall comc singing his songs.

O we can wait no longer,
We too take ship O Soul,
Joyous we too launch out on trackless seas,
Fearless for unknown shores on waves of ecstasy to sail,
Amid the wafting winds (thou pressing me to thee, I thee to me, O Soul).
Caroling free, singing our song of God,
Chanting our chant of pleasant exploration.

O Soul thou pleasest me, I thee,
Sailing these seas or on the hills, or waking in the night,
Thoughts, silent thoughts, of Time and Space and Death, like waters flowing,
Bear me indeed as through the regions infinite,
Whose air I breathe, whose ripples hear, lave me all over,
Bathe me, O God, in thee, mounting to thee,
I and my soul to range in range of thee.

O thou transcendent,
Nameless, the fibre and the breath,
Light of the light, shedding forth universes, thou centre of them.
Swiftly I shrivel at the thought of God,
At Nature and its wonders, Time and Space and Death,
But that I, turning, call to thee O Soul, thou actual me,
And lo, thou gently masterest the orbs,
Thou matest Time, smilest content at Death,
And fillest, swellest full the vastnesses of Space.

Greater than stars or suns,
Bounding O Soul thou journeyest forth;

Away O Soul! hoist instantly the anchor!
Cut the hawsers — haul out— shake out every sail!
Sail forth — steer for the deep waters only.
Reckless O Soul, exploring, I with thee, and thou with me,
For we are bound where mariner has not yet dared to go,
And we will risk the ship, ourselves and all.
O my brave Soul!
O farther, farther sail!
O daring joy, but safe! are they not all the seas of God?
O farther, farther, farther sail!

Walt Whitman


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