Joachim du Bellay
(1522-1560)


warrenhspirit


Déjà la nuit en son parc amassait

(L'Olive)

Déjà la nuit en son parc amassait
Un grand troupeau d'étoiles vagabondes.
Et pour entrer aux cavernes profondes,
Fuyant le jour, ses noirs chevaux chassait.

Déjà le ciel aux Indes rougissait,
Et l'aube encor de ses tresses tant blondes
Faisant grêler mille perlettes rondes
De ses trésors les prés enrichissait :

Quand d'occident comme une étoile vive.
Je vis sortir dessus ta verte rive,
O fleuve mien! une nymphe en riant.

Alors voyant cette nouvelle Aurore.
Le jour honteux d'un double teint colore
Et l'Angevin et l'Indique orient.

***

Tu ne crains la fureur de ma plume animée

(L'Olive)

Tu ne crains la fureur de ma plume animée,
Pensant que je n'ai rien à dire contre toi,
Sinon ce que ta rage a vomi contre moi,
Grinçant comme un mâtin la dent envenimée.

Tu crois que je n'en sais que par la renommée,
Et que quand j'aurai dit que tu n'as point de foi,
Que tu es affronteur, que tu es traître au roi,
Que j'aurai contre toi ma force consommée,

Tu penses que je n'ai rien de quoi me venger,
Sinon que tu n'es fait que pour boire et manger:
Mais j'ai bien quelque chose encore plus mordante.

Et quoi? l'amour d'Orphée? et que tu ne sus onc
Que c'est de croire en Dieu? non. Quel vice est-ce donc?
C'est, pour le faire court, que tu es un pédante.

***

Si nostre vie est moins qu'une journée...

(L'Olive)

(version: vieux français)

Si nostre vie est moins qu'une journée
En l'eternel, si l'an qui faict le tour
Chasse nos jours sans espoir de retour,
Si périssable est toute chose née,

Que songes-tu, mon ame emprisonnée?
Pourquoy te plaist l'obscur de nostre jour,
Si pour voler en un plus cler sejour,
Tu as au dos l'aele bien empanée?

La, est le bien que tout esprit desire,
La, le repos où tout le monde aspire,
La, est l'amour, la, le plaisir encore.

La, ô mon ame au plus hault ciel guidée!
Tu y pouras recongnoistre l'Idée
De la beauté, qu'en ce monde j'adore.

***

Au fleuve de Loire...

(L'Olive)

Ô de qui la vive course
Prend sa bienheureuse source,
D'une argentine fontaine,
Qui d'une fuite lointaine,

Te rends au sein fluctueux
De l'Océan monstrueux,
Loire, hausse ton chef ores
Bien haut, et bien haut encores,

Et jette ton oeil divin
Sur ce pays Angevin,
Le plus heureux et fertile,
Qu'autre où ton onde distille.

Bien d'autres Dieux que toi, Père,
Daignent aimer ce repaire,
A qui le Ciel fut donneur
De toute grâce et bonheur.

Cérès, lorsque vagabonde
Allait quérant par le monde
Sa fille, dont possesseur
Fut l'infernal ravisseur,

De ses pas sacrés toucha
Cette terre, et se coucha
Lasse sur ton vert rivage,
Qui lui donna doux breuvage.

Et celui-là, qui pour mère
Eut la cuisse de son père,
Le Dieu des Indes vainqueur
Arrosa de sa liqueur

Les monts, les vaux et campaignes
De ce terroir que tu baignes.
Regarde, mon Fleuve, aussi
Dedans ces forêts ici,

Qui leurs chevelures vives
Haussent autour de tes rives,
Les faunes aux pieds soudains,
Qui après biches et daims,

Et cerfs aux têtes ramées
Ont leurs forces animées.
Regarde tes Nymphes belles
A ces Demi-dieux rebelles,

Qui à grand'course les suivent,
Et si près d'elles arrivent,
Qu'elles sentent bien souvent
De leurs haleines le vent.

Je vois déjà hors d'haleine
Les pauvrettes, qui à peine
Pourront atteindre ton cours,
Si tu ne leur fais secours.

Combien (pour les secourir)
De fois t'a-t-on vu courir
Tout furieux en la plaine?
Trompant l'espoir et la peine

De l'avare laboureur,
Hélas! qui n'eut point d'horreur
Blesser du soc sacrilège
De tes Nymphes le collège,

Collège qui se récrée
Dessus ta rive sacrée.
Qui voudra donc loue et chante
Tout ce dont l'Inde se vante,

Sicile la fabuleuse,
Ou bien l'Arabie Heureuse.
Quant à moi, tant que ma Lyre
Voudra les chansons élire

Que je lui commanderai,
Mon Anjou je chanterai.
Ô mon Fleuve paternel,
Quand le dormir éternel

Fera tomber à l'envers
Celui qui chante ces vers,
Et que par les bras amis
Mon corps bien près sera mis
De quelque fontaine vive,
Non guère loin de ta rive,

Au moins sur ma froide cendre
Fais quelques larmes descendre,
Et sonne mon bruit fameux
A ton rivage écumeux.

N'oublie le nom de celle
Qui toutes beautés excelle,
Et ce qu'ai pour elle aussi
Chanté sur ce bord ici.

Joachim du Bellay

***

Observations...

Observations de quelques manières de parler Françaises (1549)


Ne crains pas...poète futur, d'innover quelque terme en un long poème, principalement, avec modestie toutefois, analogie et jugement de l'oreille, et ne te soucie qui le trouve bon ou mauvais espérant que la postérité l'approuvera, comme celle qui donne foi aux choses douteuses, lumière aux obscures, nouveauté aux antiques, usage aux non accoutumées, et douceur aux âpres et rudes.

(du Bellay "Défense et illustration de la langue française").

***

Plainte
(version: vieux français)
À la France

France, mere des arts, des armes et des loix,
Tu m'as nourry, longtemps du laict de ta mamelle :
Ores, comme un agneau qui sa nourrisse appelle,
Je remplis de ton nom les antres et les bois.

Si tu mas pour enfant advoüé quelquefois,
Que ne me respons tu maintenant, ô cruelle ?
France, France, respons à ma triste nouvelle :
Mais nul, sinon Echo, ne respond a ma voix.

Entre les loups cruels j'erre parmy la laine,
Je sens venir l'hyver, de qui la froide haleine
D'une tremblante horreur fait herisser ma peau.

Las! tes autres aigneaux n'ont faut de pasture ;
Ils ne craignent le lou, le vent ny la froidure ;
Si ne suis-je pourtant le pire du troppeau.



Plainte
(version: français moderne)
À la France

France, mère des arts, des armes et des lois,
Tu m'as nourri longtemps du lait de ta mamelle.
Ores, comme un agneau qui sa nourrice appelle,
Je remplis de ton nom les antres et les bois.

Si tu m'as pour enfant avoué quelquefois,
Que ne me réponds-tu maintenant, ô cruelle ?
France, France, réponds à ma triste querelle!
Mais nul, sinon Echo, ne répond à ma voix.

Entre les loups cruels, j'erre parmi la plaine,
Je sens venir l'hiver, de qui la froide haleine
D'une tremblante horreur fait hérisser ma peau.

Las! tes autres agneaux n'ont faute de pâture.
Ils ne craignent le loup, le vent ni la froidure,
Si ne suis-je pourtant le pire du troupeau.

***

Les Regrets (1558)

Heureux qui, comme Ulysse, a fait un beau voyage.
Ou comme celui-là qui conquit la Toison,
Et puis est retourné, plein d'usage et raison,
Vivre entre ses parents le reste de son âge!

Quand reverrai-je, hélas, de mon petit village
Fumer la cheminée, et en quelle saison
Reverrai-je le clos de ma pauvre maison.
Qui m'est une province et beaucoup davantage ?

Plus me plaît, le séjour qu'ont bâti mes aïeux,
Que des palais romains le front audacieux,
Plus que le marbre dur me plaît l'ardoise fine,

Plus mon Loire gaulois que le Tibre latin,
Plus mon petit Liré que le mont Palatin,
Et plus que l'air marin la douceur angevine.

***

D'un vanneur de blé aux vents

O vous, troupe légère,
Qui d'aile passagère
Par le monde volez,
Et d'un sifflant murmure
L'ombrageuse verdure
Doucement ébranlez,

J'offre ces violettes,
Ces lis et ces fleurettes,
Et ces roses ici,
Ces vermeillettes roses
Tout fraîchement écloses,
Et ces oeillets aussi.

De votre douce haleine
Eventez cette plaine,
Eventez ce séjour :
Ce pendant que j'ahanne
A mon blé, que je vanne
A la chaleur du jour.

Joachim du Bellay

***

Retour à la liste: Choix de poèmes
Retour au sommaire du Jardin des Muses
Retour à la liste des Poètes d'hier

***

Art work: Paul Cézanne - La mer à l'Estaque 1879

This site is beautifully viewed with Microsoft Internet Explorer

Dernière modification de ce document: