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*Myrto
Je pense à toi, *Myrtho, divine enchanteresse,
Au Pausilippe altier, de mille feux brillant,
A ton front inondé des clartés d'Orient,
Aux raisins noirs mêlés avec l'or de ta tresse.
C'est dans ta coupe aussi que j'avais bu l'ivresse,
Et dans l'éclair furtif de ton oeil souriant,
Quand aux pieds d'Iacchus on me voyait priant,
Car la Muse m'a fait l'un des fils de la Grèce.
Je sais pourquoi là-bas le volcan s'est rouvert...
C'est qu'hier tu l'avais touché d'un pied agile,
Et de cendres soudain l'horizon s'est couvert.
Depuis qu'un duc normand brisa tes dieux d'argile,
Toujours, sous les rameaux du laurier de Virgile,
Le pâle hortensia s'unit au myrte vert!
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*Horus
Le dieu *Kneph en tremblant ébranlait l'univers:
*Isis la mère, alors se leva sur sa couche,
Fit un geste de haine à son époux farouche,
Et l'ardeur d'autrefois brilla dans ses yeux verts.
"Le voyez-vous, dit-elle, il meurt, ce vieux pervers,
Tous les frimas du monde ont passé par sa bouche,
Attachez son pied tors, éteignez son oeil louche,
C'est le dieu des volcans et le roi des hivers!
"L'aigle a déjà passé, l'esprit nouveau m'appelle,
J'ai revêtu pour lui la robe de *Cybèle...
C'est l'enfant bien-aimé d'Hermès et d'*Osiris!
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*Antéros
Tu demandes pourquoi j'ai tant de rage au coeur
Et sur un col flexible une tête indomptée;
C'est que je suis issu de la race d'*Antée,
Je retourne les dards contre le dieu vainqueur.
Oui, je suis de ceux-là qu'inspire le Vengeur,
Il m'a marqué le front de sa lèvre irritée,
Sous la pâleur d'Abel, hélas! ensanglantée,
J'ai parfois de Caïn l'implacable rougeur!
Jéhovah! le dernier, vaincu par ton génie,
Qui, du fond des enfers, criait: "O tyrannie!"
C'est mon aïeul Bélus ou mon père Dagon...
Ils m'ont plongé trois fois dans les eaux du *Cocyte,
Et, protégeant tout seul ma mère Amalécyte,
Je ressème à ses pieds les dents du vieux dragon.
***
Delfica
La connais-tu, *Dafné, cette ancienne romance,
Au pied du sycomore, ou sous les lauriers blancs,
Sous l'olivier, le myrte, ou les saules tremblants,
Cette chanson d'amour qui toujours recommence?...
Reconnais-tu le Temple au péristyle immense,
Et les citrons amers où s'imprimaient tes dents,
Et la grotte, fatale aux hôtes imprudents,
Où du dragon vaincu dort l'antique semence?
Ils reviendront, ces Dieux que tu pleures toujours!
Le temps va ramener l'ordre des anciens jours;
La terre a tressailli d'un souffle prophétique...
Cependant la sibylle au visage latin
Est endormie encor sous l'arc de Constantin
- Et rien n'a dérangé le sévère portique.
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*Artémis
La Treizième revient... C'est encor la première;
Et c'est toujours la seule, - ou c'est le seul moment;
Car es-tu reine, ô toi! La première ou dernière?
Es-tu roi, toi le seul ou le dernier amant?...
Aimez qui vous aima du berceau dans la bière;
Celle que j'aimai seul m'aime encor tendrement:
C'est la mort - ou la morte ...O délice! ô tourment!
La rose qu'elle tient, c'est la Rose trémière.
Sainte napolitaine aux mains pleines de feux,
Rose au coeur violet, fleur de sainte Gudule:
As-tu trouvé ta croix dans le désert des cieux?
Roses blanches, tombez! vous insultez nos dieux,
Tombez, fantômes blancs, de votre ciel qui brûle:
- La sainte de l'abîme est plus sainte à mes yeux!
Gérard de Nerval
Vers dorés
Eh quoi! tout est sensible
Pythagore
Homme, libre penseur! te crois-tu seul pensant
Dans ce monde où la vie éclate en toute chose?
Des forces que tu tiens ta liberté dispose,
Mais de tous tes conseils l'univers est absent.
Respecte dans la bête un esprit agissant:
Chaque fleur est une âme à la Nature éclose;
Un mystère d'amour dans le métal repose;
"Tout est sensible!" Et tout sur ton être est puissant.
Crains, dans le mur aveugle, un regard qui t'épie:
A la matière même un verbe est attaché...
Ne la fais pas servir à quelque usage impie
Souvent dans l'être obscur habite un Dieu caché;
Et comme un oeil naissant couvert par ses paupières,
Un pur esprit s'accroît sous l'écorce des pierres!
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En marge des Chimères
Autres Chimères
La Tête armée
Napoléon mourant vit une Tête armée...
Il pensait à son fils déjà faible et souffrant:
La Tête, c'était donc sa France bien-aimée,
Décapitée aux pieds du César expirant.
Dieu, qui jugeait cet homme et cette renommée,
Appela Jésus-Christ; mais l'abyme s'ouvrant,
Ne rendit qu'un vain souffle, un spectre de fumée
Le Demi-Dieu, vaincu, se releva plus grand.
Alors on vit sortir du fond du purgatoire
Un jeune homme inondé des pleurs de la Victoire,
Qui tendit sa main pure au monarque des cieux;
Frappés au flanc tous deux par un double mystère,
L'un répandait son sang pour féconder la Terre,
L'autre versait au ciel la semence des dieux!
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A *Hélène de Mecklembourg
Fontainebleau, mai 1831
Le vieux palais attend la princesse saxonne
Qui des derniers Capets veut sauver les enfants;
Charlemagne, attentif à ses pas triomphants,
Crie à Napoléon que Charles-Quint pardonne.
Mais deux rois à la grille attendent en personne;
Quel est le souvenir qui les tient si tremblants
Que l'aïeul aux yeux morts s'en retourne à pas lents,
Dédaignant de frapper ces pêcheurs de couronne?
O Médicis! les temps seraient-ils accomplis?
Tes trois fils sont rentrés dans ta robe aux grands plis;
Mais il en reste un seul qui s'attache à ta mante.
C'est un aiglon tout faible, oublié par hasard;
Il rapporte la foudre à son père César...
Et c'est lui qui dans l'air amassait la tourmente
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A *madame Sand
"Ce roc voûté par art, chef-d'oeuvre d'un autre âge,
Ce *Roc de Tarascon hébergeait autrefois
Les géants descendus des montagnes de Foix,
Dont tant d'os excessifs rendent sûr témoignage."
O *seigneur Du Bartas , je suis de ton lignage,
Moi qui soude mon vers à ton vers d'autrefois:
Mais les frais descendants des vieux comtes de Foix
Ont besoin de témoins pour parler dans notre âge.
J'ai passé près Salzbourg sous des rochers tremblants;
La cigogne d'Autriche y nourrit les milans.
Barberousse et Richard ont sacré ce refuge.
La neige règne au front de leurs pics infranchis,
Et ce sont, m'a-t-on dit, les ossements blanchis
Des anciens monts rongés par la mer du déluge.
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A madame Ida Dumas
J'étais assis chantant aux pieds de Michaël;
*Mithra sur notre tête avait fermé sa tente;
Le Roi des rois dormait dans sa couche éclatante,
Et tous deux en rêvant nous pleurions Israël
Quand Tippoo se leva dans la nuée ardente...
Trois voix avaient crié vengeance au bord du ciel;
Il rappela d'en haut mon frère Gabriel,
Et tourna vers Michel sa prunelle sanglante:
"Voici venir le loup, le tigre et le lion...
L'un s'appelle Ibrahim, l'autre Napoléon
Et l'autre Abd-el-Kader qui rugit dans la poudre;
"Le glaive d'Alaric, le sabre d'Attila,
Ils les ont... Mon épée et ma lance sont là;
Mais le César romain nous a volé la foudre."
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A madame Aguado
Colonne de saphir, d'arabesques brodée,
Reparais! Les ramiers s'envolent de leur nid.
De ton bandeau d'azur à ton pied de granit
Se déroule à longs plis la pourpre de Judée.
Si tu vois *Bénarès , sur son fleuve accoudée,
Détache avec ton arc ton corset d'or bruni,
Car je suis le vautour volant sur Patani,
Et de blancs papillons la mer est inondée.
Lanassa! fais flotter ton voile sur les eaux.
Livre les fleurs de pourpre au courant des ruisseaux.
La neige du Cathay tombe sur l'Atlantique.
Cependant la prêtresse au visage vermeil
Est endormie encor sous l'arche du soleil,
Et rien n'a dérangé le sévère portique.
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Rêverie de *Charles VI
On ne sait pas toujours où va porter la hache,
Et bien des souverains, maladroits ouvriers,
En laissent retomber le coupant sur leurs pieds!
...
Que d'ennuis sur un front la main de Dieu rassemble
Et donne pour racine aux fleurons du bandeau!
Pourquoi mit-il encor ce pénible fardeau
Sur ma tête aux pensées tristes abandonnée,
Et souffrante, et déjà de soi-même inclinée.
Moi qui n'aurais aimé, si j'avais pu choisir,
Qu'une existence calme, obscure et sans désir:
Une pauvre maison dans quelque bois perdue,
De mousse, de jasmins et de vigne tendue;
Des fleurs à cultiver, la barque d'un pêcheur,
Et de la nuit sur l'eau respire la fraîcheur;
Prier Dieu sur les monts, suivre mes rêveries
Par les bois ombragés et les grandes prairies,
Des collines le soir descendre le penchant,
Le visage baigné des lueurs du couchant;
Quand un vent parfumé nous apporte en sa plainte
Quelques sons affaiblis d'une ancienne complainte...
Oh! ces feux du couchant, vermeils, capricieux,
Montent, comme un chemin splendide, vers les cieux!
Il semble que Dieu dise à mon âme souffrante:
Quitte le monde impur, la foule indifférente,
Suis d'un pas assuré cette route qui luit,
Et - viens à moi, mon fils... et - n'attends pas la NUIT!!!
[Madame et souveraine]
"Madame et souveraine,
Que mon coeur a de peine..."
Ainsi disait un enfant chérubin:
"Madame et souveraine,
Que mon coeur a de peine..."
Cette nuit, je ne sais trop pourquoi, ce refrain
A trotté dans ma tête et m'a laissé tout triste...
J'ai des torts envers vous... mais de ces torts d'artiste
Que l'on peut pardonner de la main à la main.
Je suis un fainéant, bohème journaliste,
Qui dîne d'un bon mot étalé sur son pain.
Vieux avant l'âge et plein de rancunes amères,
Méfiant comme un rat, trompé par trop de gens,
Ne croyant nullement aux amitiés sincères,
J'ai mis exprès à bout les nobles sentiments
Qui vous poussaient, madame, à calmer les tourments
D'une âme abandonnée au pays des misères.
Daignez me pardonner cet essai maladroit...
Vos lettres m'ont prouvé que dans cette bagarre,
Vous possédiez l'esprit qui marche ferme et droit,
Vous voulez votre dû, mot grotesque et barbare,
Que l'on n'accepterait jamais au *Tintamare
...
Mais il paraît qu'il faut payer ce que l'on doit.
Vous aurez donc, madame, et manuscrits et lettres,
Doucement ficelés dans un calicot vert,
Car ma plume est gelée aux jours noirs de l'hiver.
Sans feu dans mon taudis, sans carreaux aux fenêtres,
Je vais trouver le joint du ciel ou de l'enfer,
Et j'ai pour l'autre monde enfin bouclé mes guêtres.
J'ai fait mon épitaphe et prends la liberté
De vous la dédier dans un sonnet stupide
Qui s'élance à l'instant du fond d'un cerveau vide...
Mouvement de coucou par le froid arrêté:
La misère a rendu ma pensée invalide!
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Sonnet
Il a vécu tantôt gai comme un sansonnet,
Tour à tour amoureux insoucieux et tendre,
Tantôt sombre et rêveur comme un triste *Clitandre.
Un jour il entendit qu'à sa porte on sonnait.
C'était la Mort! Alors il la pria d'attendre
Qu'il eût posé le point à son dernier sonnet;
Et puis sans s'émouvoir, il s'en alla s'étendre
Au fond du coffre froid où son corps frissonnait.
Il était paresseux, à ce que dit l'histoire,
Il laissait trop sécher l'encre dans l'écritoire.
Il voulait tout savoir mais il n'a rien connu.
Et quand vint le moment où, las de cette vie,
Un soir d'hiver, enfin l'âme lui fut ravie,
Il s'en alla disant: Pourquoi suis-je venu?
Adieu, Madame, puisse ma lettre vous trouver joyeuse et contente!
Vous êtes jeune, tout est bien pour vous. J'ai la tête bourrelée
d'ennuis; vous me pardonnerez donc cette lettre, qui, pour vous,
n'a sans doute pas sa raison d'être! Prenez-la comme une énigme,
et, si vous en trouvez le mot, répondez-moi que vous daignez
agréer les voeux sincères que je fais pour votre bonheur.
Votre dévoué serviteur: Gérard de Nerval.
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